Mark Lewis, exégète de l’imageL'artiste américain explore la mécanique de l’image filmique. La galerie Cent8 expose quatre de ses dernières œuvres.
| Mark Lewis, From algonquin Park,
2001, court. galerie Cent8
/Patrick Painter, Santa Monica |
Initié à la photographie par Victor Burgin, Mark Lewis se dirige vers le cinéma vers 1995. Ce pan de la création contemporaine est investi par l’artiste dans une visée analytique consistant dans la lise ç nu de la grammaire cinématographique. Le parallélisme entre la démarche de Burgin et celle de Lewis semble, dès lors, évident et l’influence du premier sur le second, s’imposer. Artiste conceptuel, Victor Burgin s’attache notamment, et ce dès les années 70, à mettre en lumière la capacité illusionniste de l’image photographique. Puis dans une même volonté de décodage de l’image moderne, il s’intéresse à la publicité Là encore, l’image n’est convoquée que pour ce qu’elle dit d’elle-même, dans une démarche tautologique propre aux conceptuels. A sa suite, Mark Lewis tente de disséquer une autre forme d’image, l’image filmique, insigne de notre modernité.
La galerie Cent8 présente, aux côtés de quelques photographies de repérage, par ailleurs non dépourvues de qualités plastiques, quatre œuvres filmées, réalisées de 1998 à 2001. The Pitch (Le Baratin, 1998), pièce présentée sur moniteur, pastiche les usages hollywoodiens. Lewis se filme dans la peau d’un auteur soumettant l’idée d’un scénario à une maison de production, la réalisation du film ne dépendant que du pouvoir de persuasion de l’auteur. Ce dernier a rédigé à cet effet, un argumentaire censé convaincre de l’originalité de l’idée (celle-ci consistant en la réhabilitation du statut du Figurant) et de sa pertinence, qu’il lit à haute voix dans un lieu publique, debout parmi les passants. Toute réalisation cinématographique apparaît dès lors, et ce, dès sa genèse, soumise à une réalité commerciale. L’auteur se fait pour l’occasion vendeur de sa marchandise, se mettant en scène pour illustrer son propos et adoptant un ton théâtral pour capter l’attention de son auditoire. Mark Lewis, plaçant son auteur dans le rôle de figurant de l’industrie cinématographique, ironise sur ces méthodes.
| Mark Lewis, After [Made for TV],
1999, location shot,
court. galerie Cent8 |
C’est encore le thème de la compromission qu’aborde Jay’s Garden, film muet. Sur un écran de grandes dimensions, l’on découvre un jardin, ses arbustes, ses bosquets, ses fleurs et au milieu de cela, des personnages improbables, acteurs de cinéma X discutant autour d’une table ou se promenant. Rien, sinon leurs tenues vestimentaires, ne donne à penser qu’il s’agit d’acteurs de X. Lewis filme l’à-côté de l’action (aucune scène à caractère pornographique ici), l’autre carrière à laquelle nombre d’entre eux, on l’imagine, se sont essayés sans succès. Il suggère par là, les compromis auxquels certains sont prêts à se soumettre pour se maintenir au sein des studios hollywoodiens et comment l’industrie pornographique et cinématographique coexistent, la première se nourrissant des échecs et des ambitions déçues qu’engendre la seconde.
La troisième pièce, After (Made for TV) (1999), analyse quant à elle le processus narratif d’un film en bouleversant le schème classique du scénario et des règles qui le régissent. Lewis fragmente le récit et nous présente une succession de scènes post-dramatiques, la narration se distend, les rapports de causalité sont floues, il appartient alors au spectateur d’investir ces espaces de flottement afin de restaurer les connexions entre les personnages. La quatrième pièce, intitulée Smithfield (2000), évoque le pouvoir de séduction de l’image filmique, si trivial son motif soit-il. Une femme de ménage est au centre d’une pièce blanche, vide, éclairée artificiellement et lave le sol, dehors la lumière est faible, la nuit tombe. Lewis filme de l’extérieur et tourne autour de cette pièce entièrement vitrée. Le contraste entre ombre et lumière, le jeu de ces cadres fictifs imbriqués les uns dans les autres, les reflets sur les vitres, sont autant d’éléments qui créent une indétermination de l’espace, une impression d’aplatissement, qui font de ces plans, des images dont la richesse plastique parvient à nous faire oublier la banalité du sujet en action. Au travers de ces quatre œuvres, Mark Lewis nous offre une sémiologie de l’image moderne. L’artiste nous donne à voir l’envers du décor, comme pour démythifier l’image et nous défaire de son pouvoir hypnotique.
| Raphaëlle Stopin 14.01.2002 |
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