| | Le paysage et les cinq sensAlain Corbin, professeur d’histoire à l’université Panthéon-Sorbonne, revisite l'histoire du paysage.
L’homme dans le paysage propose d’appréhender la perception du paysage par la géographie, l’histoire, l’esthétique et la philosophie. Bâti sous forme d’entretien avec Jean Lebrun, le livre explore plusieurs thématiques. En cherchant à lui donner une définition, il explique comment l’espace devient paysage. Celui que l’on voit dans un tableau flamand ou italien à travers une fenêtre n’avait peut-être pas la même importance aux yeux du peintre. « c’est là un véritable problème, écrit Alain Corbin, Lorsqu’on feuillette un ouvrage d’art, on peut parfois lire la mention suivante : paysage du 15e ou du 16e siècle. Or, il s’agit, le plus souvent, d’un fragment d’espace situé dans le fond ou sur les bords du tableau... Les auteurs de l’album ont érigé en paysage, selon notre propre esthétique et selon un code ultérieur au tableau concerné, un simple morceau de toile qui n’était peut-être, à l’époque, considéré comme tel ni par les spectateurs, ni par le peintre. ». Comme le rappelle Alain Corbin, le sujet de « l’homme dans le paysage » est apparu récemment en Occident. En Chine, il est étudié depuis le 10e siècle, « Les Chinois ont analysé cette présence avec une subtilité extrême ; qu’il s’agisse de l’attention portée aux météores, des modalités de l’admiration et des formes de sociabilité induites par cette sensibilité à la nature. ».
Pour mieux saisir le paysage, selon Alain Corbin, il faut aborder la question des sens. L’odorat, l’ouïe, le toucher participent à la vision que nous en retenons. Les croyances scientifiques et médicales, la notion de sain et de malsain influence par ailleurs le promeneur au gré des époques. « La visée thérapeutique a, elle aussi, largement déterminé l’appréciation. A partir des dernières décennies du 17e siècle, on voit se dessiner une admiration des paysages « sains », considérés comme thérapeutiques. ». Dans un autre chapitre, Alain Corbin s’intéresse au voyage. Du voyage classique du 16e au 18e siècle, où l’on veut retrouver la culture classique, lors du « grand tour », au voyage romantique, jusqu’aux randonnées introduites dès la fin du 19e siècle, le paysage ne suscite pas les mêmes fascination ou intérêt. On le regarde différemment, en groupe ou en solitaire... Il ne faut pas oublier les conditions environnementales, le brouillard, le vent, la pluie, ou la neige, éléments longtemps ignorés des historiens du paysage, le transforment, le façonnent. Notre perception s’en trouvera radicalement changée. Enfin, de l’aménagement de la forêt de Fontainebleau, sous le Second Empire, aux soucis écologiques de notre époque, sources de nombreux conflits, Alain Corbin évoque l’histoire de la préservation du paysage.
Les propos d’Alain Corbin sont clairs et illustrés par des reproductions d’œuvres célèbres de Van Eyck, Poussin ou encore Courbet. On aurait pu souhaiter un index et une chronologie plus évidente. Mais le livre se lit avec plaisir et l’on découvre avec amusement des anecdotes, comme celle de cet admirateur des marines de Joseph Vernet qui fut déçu en se rendant à Dieppe : il trouva la mer moins belle que celle représentée par le peintre...
| Laure Desthieux 13.09.2001 |
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