Les autodafés de Saura, l’iconoclasteDaniel Lelong présente les œuvres peintes dans les années 80-90 par Antonio Saura, disparu il y a quatre ans.
| Antonio Saura
Autodafé, 1986
Technique mixte sur carton
33,7 x 49,8 cm.
Courtesy Galerie Daniel Lelong
© ADAGP |
Quatre séries sont ici exposées, les Autodafés, les Suaires, les Chiens de Goya et les Manières, toutes réalisées durant les deux dernières décennies du vingtième siècle. La peinture est informelle, expressionniste. Chez Saura, la facture n’est pas seule porteuse d’expressivité, le support lui-même peut être investi d’un rôle important.
La série des Autodafés est à ce titre exemplaire. Chacun d'eux prend place sur le revers d’une couverture de livre, dont les pages ont été arrachées, ainsi l’œuvre naît-elle d’une destruction. Disposé dans sa largeur et non dans sa hauteur, le support obtenu est rectangulaire. La tranche du livre situé en son milieu structure fortement cette surface vierge et dessine un axe de symétrie semblable à celui que constitue un nez au sein d’un visage. Le support détermine le sujet, qui s’impose alors au peintre avec évidence : ce sera une figure. De l’horizontalité prononcée du support, résulte une certaine difformité. La symétrie qu’implique ici la tranche n’induit pas une construction harmonieuse. La forme se dilate dans sa largeur et devient monstrueuse. Les mouvements larges de Saura, peintre du geste, décrivent des cercles irréguliers qui forment autant d'yeux, animant ces figures quasi-animales. Les tons sont sombres, oscillant entre marron, gris et noir, ajoutant au caractère crépusculaire de ces peintures. L’exposition de ces pièces à la galerie Lelong permet de mesurer la richesse expressive qu’offre ce support, que l’on ne peut soupçonner à la seule vue d’une reproduction. La surface arrachée laisse apparaître le velouté du carton à vif, violence et douceur cohabitent au sein de la matière. En certains endroits, la peinture brillante se fait mate et la facture lisse devient texture. La frontalité constante de chacun des Autodafé accentue la brutalité de ces figures auxquelles on ne peut échapper.
| Antonio Saura, Manière 15, 1984
Technique mixte sur palette de bois
24,5 x 34,7 cm.Court. Galerie D.Lelong
© ADAGP |
La série des Manières explore un autre support, celui de la palette, insigne de la peinture traditionnelle. Le support est ici invoqué davantage pour sa forme que pour sa matière, le trou destiné au pouce du peintre devient tantôt un œil, tantôt une bouche. Là aussi, comme dans les Autodafés, il y a transgression, détournement de la nature première du support dans une tentative de porter atteinte à ce qu’il incarne : la belle «manière», celle d’une peinture délicate, faite de tons subtilement élaborés. La manière de Saura se fait, a contrario, violente, sans nuance de tons, ni mélange, ni minutie dans l’application de la matière picturale. De cette démarche iconoclaste, émergent des œuvres puissantes, dotées d’une forte présence plastique, de nouvelles icônes, obsédantes…
| Raphaëlle Stopin 09.02.2002 |
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