| Martin Flinker dans sa librairie
© Musée d'art et d'histoire du judaïsme |
De Vienne à Paris, les errances d'un libraireLe musée d'art et d'histoire du judaisme retrace le parcours de Martin Flinker, un humaniste défenseur de la littérature de langue allemande.
Hasard des programmations ? Alors que le musée d’art et d’histoire du judaïsme consacre une vaste exposition à l’iconographie du « Juif errant », il retrace dans ses caves voûtées les pérégrinations d’un libraire hors norme… Né à Czernowitz en 1895, Martin Flinker fait ses débuts dans la librairie viennoise d’Hugo Heller. Ce prestigieux établissement publie la revue freudienne, Imago, et compte parmi ses adeptes des auteurs tels que Roth, Müsil, Zweig ou Thomas Mann. Flinker s'y distingue en relançant la tradition des almanachs littéraires. En 1930, il ouvre sa propre boutique, lieu dont la qualité était louée par Müsil : «Quand on s’arrête devant votre librairie, on a sous les yeux une véritable revue de la littérature moderne». Sa vie bascule avec l’Anschluss qui entraîne le départ de sa femme, réfugiée en Moravie, la spoliation de ses biens puis son errance en compagnie de son fils, Karl, âgé de 14 ans. Ce long périple les mène à travers la Suisse et la France puis finalement à Tanger, ville au statut international dans laquelle ils demeurent jusqu’à la fin de la guerre. À la Libération, il choisit de s’établir à Paris. Avec audace, il ouvre sur le quai des Orfèvres une librairie de langue allemande dans laquelle il défend obstinément la littérature qu’il admire. Ce lieu de référence qui, selon Isabelle Pleskoff, commissaire de l’exposition, «jette les ponts entre deux cultures», est fréquenté par Robert Schuman qui y passe ses dimanches après-midi, mais aussi par Lacan, attiré par la distribution exclusive des textes en allemand de Freud, ainsi que par Michaux, Paul Celan, Eluard, Bachelard, Michel Tournier… Deux ans après le décès de Martin Flinker, en 1986, l'établissement ferme ses portes.
Cette exposition réunit le fonds de la bibliothèque des Flinker –offert au musée lors de son inauguration- ainsi que des archives de l’Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine et rend presque palpable le parcours et les engagements de cet homme. Elle illustre les douleurs d’une vie avec des documents poignants : une déclaration d’apatridie rédigée par le tribunal de Tanger, un petit papier stipulant le décès de son épouse à Auschwitz ou une coupure d’un journal nazi illustrée par une photographie de son fils enfant qu’il conserva tout au long de sa vie... Mais surtout, elle témoigne de son engagement en faveur de la culture. On découvre ainsi les ouvrages que Flinker s’efforça de trouver pour reconstituer la bibliothèque qu’il avait abandonnée à Vienne (des livres à la séduisante typographie Jugendstil ainsi que les éditions originales de romans et d’essais), des correspondances échangées avec nombre d’intellectuels, comme Thomas Mann, l’ami de toujours... Loin d’être anecdotique, ce portrait dressé se révèle exemplaire. La destinée de Martin Flinker est en effet emblématique d’une réalité historique marquée autant par une certaine universalité de la culture que par une volonté d’intégration sociale.
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