Quand l'Etat achèteLe musée de Grenoble dresse le bilan des achats d'art récemment effectués par l'État français. Visite guidée par Bernard Blistène, inspecteur général de la création artistique.
| Bernard Blistène et Elisabeth
Bret-Besson
© Françoise Monnin |
«Qu'on m'apporte un marteau piqueur !» A peine arrivé à Grenoble, Bernard Blistène, inspecteur général de la création artistique, entend perforer le sol du musée, afin que l'autruche empaillée (œuvre de l'italien Maurizio Cattelan, achetée par l'État en 1998) puisse loger sa tête sous le plancher, selon le souhait de l'artiste. Il est vrai que cette œuvre a son importance : c'est elle qui figure sur l'affiche de l'exposition «L'Art d'Aujourd'hui». Pour le reste, le haut fonctionnaire semble satisfait de la sélection opérée par l'ancien conservateur du musée de Grenoble (Serge Lemoine, aujourd'hui directeur du musée d'Orsay), parmi les œuvres achetées par l'État depuis... 1791. Les 116 œuvres présentées datent toutes des quarante années qui viennent de s'écouler et reflètent assez justement l'état de l'art officiel occidental : de rares peintures, beaucoup de photographies au «statut quasi pictural», pas de sculptures mais des œuvres «de caractère sculptural» ; un univers essentiellement constitué de références à l'analyse, à l'accident, à l'ordinaire et à l'incarcération. «On devrait faire, souligne Bernard Blistène, une exposition sur l'enfermement. On y croiserait beaucoup d'artistes».
| Maurizio Cattelan, Sans titre, 1997
© Françoise Monnin |
«Quand quelqu'un fait un accrochage, il n'épuise pas les possibilités des œuvres», dit encore le spécialiste, surpris par la présentation, accordant davantage les formes et les couleurs que cherchant à souligner des messages. Il est vrai qu'une longue tradition a fait de Grenoble le fief de l'abstraction géométrique. Ainsi, dans la salle en gris, blanc et noir, une toile du polonais Opalka dialogue avec une autre, de l'allemand Richter, «un tableau capital. Inestimable. On ne va pas faire vulgaire en vous en donnant le prix». Ce qui importe, dans cette exposition, c'est de souligner que l'État a su discerner l'essentiel. Soit, faire de bonnes affaires. La manière dont Bernard Blistène s'attarde aussi longuement à commenter une photographie du très cher Gursky en atteste. «Le principe de l'art, c'est de produire de la transgression. Le Fonds national d'art contemporain n'a pas peur de trafiquer l'inconnu pour trouver du nouveau. Les 70 000 œuvres que nous possédons ne sont pas toutes des chefs-d'œuvre», concède toutefois l'inspecteur, avant de reprendre son train pour la capitale.
| Françoise Monnin 08.03.2002 |
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