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Expositions

Richard Prince, blagues à peindre

Connu pour ses photographies, pastiches d’images publicitaires, l’artiste américain expose ses oeuvres peintes, moins célèbres, à la Kunsthalle de Zurich.


Richard Prince
Almost Grown, 1988-89
Huile et émail sur fibres de verre et bois
Courtesy Barbara Gladstone Gallery
Né en 1949, Richard Prince commence son activité artistique dans le courant des années 1970. Qu’elles soient photographies, peintures, objets ou dessins, ses œuvres investissent le champ de l’imagerie populaire occidentale et particulièrement américaine, se plaçant ainsi dans la descendance des artistes pop. La photographie selon Prince réinterprète, par le pastiche, des images publicitaires parmi les plus célèbres. Ainsi dans les années 1980, l’artiste s’approprie la campagne Marlboro dans une série intitulée Cowboys. L’image originale est manipulée, re-fabriquée, mettant en exergue ses non-dits, la facticité d'une iconographie publicitaire glamour. Par ce biais, l’artiste pénètre de l'intérieur le monde de la consommation et ses relais promotionnels, dans un esprit provocateur et subversif. C’est une démarche similaire, qui préside à l’élaboration, à partir de 1985, d’un corpus abondant, que l’artiste poursuit encore aujourd’hui, prenant pour thème la plaisanterie populaire. Cette production picturale fait pour la première fois l’objet d’une rétrospective dans une institution muséale, la Kunsthalle de Zürich, initiative que l’on doit à sa directrice, Beatrix Ruf.


Richard Prince
What It Means, 2000
128,3 x 228,6 cm.
Courtesy Barbara Gladstone Gallery
La blague, tout comme l’affiche publicitaire, est une manifestation de la culture populaire et renseigne, malgré elle, sur le modèle social dominant et la conception collective de normalité prégnante. Là aussi, Prince travaille à partir d’un matériau préexistant, les blagues étant issues pour la plupart de titres de presse tel que le New Yorker. Si elles véhiculent une pensée standardisée, elles sont également souvent peu respectueuses des conventions sociales et du «politiquement correct». L’humour est tranchant, cru, souvent sexiste. Ainsi, What It Means sur lequel on peut lire : «Tu sais ce que ça veut dire quand tu rentres chez toi et que ta femme te donne un peu d'amour, un peu d'affecton, un peu de tendresse ? Cela veut dire que tu es dans la mauvaise maison, voilà ce que ça signifie»). Mais ici, les plaisanteries ne prennent pas place sur un support photographique et médiatique. Elles prennent l'assaut d'un support plus traditionnel et plus noble, la toile du peintre. La typographie est composée de majuscules standards, l’écriture est noire sur un fond le plus souvent monochrome. Par cette esthétique minimaliste, Prince cherche à évoquer les «statements» de l’art conceptuel, sur un mode sarcastique et décalé, jouant du mythe de la culture et des idéologies véhiculées par la peinture abstraite. Et Beatrix Ruf de résumer : «La blague, signature du peintre Richard Prince, définit la peinture en tant que plaisanterie». Un autre phénomène populaire questionné par l’artiste est celui de la «customisation» de carrosseries, qu’il transforme en grands monochromes abstraits. Prince pratique l’autodérision et suggère que l’art minimal est lui aussi passé dans le domaine public, prêt à être consommé et réapproprié par tous, et en premier lieu, par l’artiste.


 Raphaëlle Stopin
11.02.2002