Gwenn-Aël Bolloré, la passion des livresNimier, Céline, Blondin et consorts : Sotheby's disperse 250 ouvrages et manuscrits réunis par un collectionneur fougueux, animateur des éditions de La Table Ronde.
| Comte de Lautréamont,
Les chants de Maldoror,
illustré par Salvador Dali
Est. : 220 000 / 380 000 €
© ADAGP |
Henri Michaux, Jean Anouilh, Georges Bernanos, Louis Guilloux, Pauline Réage, Tristan Tzara, Boris Vian… La collection Bolloré est d’abord intéressante pour l’instantané qu’elle dresse d’une décennie de littérature française : les années 50. En 1950, le jeune Gwenn-Aël Bolloré (1926-1990) a depuis longtemps pris son envol. Issu d’une lignée de papetiers dont le succès est lié à l’invention d’un papier fin utilisé par les luxueuses éditions de la Pléiade ou par les rouleurs de cigarettes, il a quitté le domaine familial et la région de Quimper. Après un court et glorieux passage dans la France Libre, il a trouvé sa voie, celle des livres. Il commence par travailler aux éditions Plon mais, après avoir essuyé le refus du manuscrit qu’il proposait, celui de L’Arrache-cœur, il participe aux éditions de La Table ronde dont il deviendra le président-directeur général. Cette passion habite sa vie et il réunit les ouvrages d’auteurs qu’il admire et fréquente. Au premier rang de ces romanciers figure Roger Nimier, qu’il rencontre alors que celui-ci vient d’être nommé rédacteur en chef de l’hebdomadaire Opéra. Nimier restera son ami de tous les instants jusqu’à sa mort brutale, en 1960… Un décès qui coïncide avec le retrait de Bolloré hors du monde de l’édition.
| Céline, Nord,
manuscrit autographe signé
Est. : 400 / 600 000 € |
Les envois des auteurs et la précaution avec laquelle il les conserve témoignent de ces relations privilégiées. Un Barbare en Asie est annoté par Michaux qui s’interroge «Que vaudrait la signature d’un barbare ? Mais que je dise le plaisir que j’ai eu à me trouver parmi des amis Mr et Madame Gwennaël (sic) Bolloré» tandis que La Culotte d’Anouilh porte un petit mot manuscrit «Pour Gwenn-Aël Bolloré, fantôme d’un manoir breton – l’autre fantôme d’un chalet suisse»… Autre signe d’affection, l’importance que le collectionneur porte à la reliure de ses ouvrages, confiée à Henri Mercher. Ce dernier les couvre avec une originalité profonde, utilisant du maroquin mais aussi des plats de plexiglas, comme pour les Vingt-huit ans de gaullisme de Jacques Soustelle aux couleurs du drapeau français avec un motif de croix de Lorraine, ou des peaux de saumon tannées, celle des poissons pêchés par Bolloré, également féru d’océanographie.
Au-delà de sa valeur d’ensemble, la collection compte quelques pièces exceptionnelles en partie acquises auprès d’Henri Matarasso, le libraire de la rue de Seine. La première est un petit carnet à couverture de skaï noir qui a appartenu à Paul Eluard et dans lequel André Breton consigna ses 17 premiers poèmes, témoins de son parcours esthétique, du symbolisme à Mallarmé, Valéry puis Apollinaire (30 000 €). La seconde est un grand exemplaire des Chants de Maldoror édité par Albert Skira et illustré par Dali auquel sont joints 27 dessins originaux à la mine de plomb et 12 planches supplémentaires (220 000 €). Un ensemble encore rehaussé par la reliure conçue par Paul Bonet en 1948, composition mosaïquée de six peaux noires sur laquelle se découpe une silhouette inspirée par l’Angélus selon Dali… Et comme les ventes publiques de ces derniers temps ne semblent pouvoir se passer de manuscrits de Céline, la collection Bolloré a le « sien », un manuscrit autographe de Nord, son dernier roman achevé (400 000 €).
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