Auguste, l'autre Morisot

Pourquoi exposer un artiste lyonnais méconnu en Suisse ?
Helen Bieri Thomson. À la suite d’une présentation de quelques projets de vitraux d’Auguste Morisot à la fondation il y deux ou trois ans, la petite-fille de l’artiste nous a proposé d’exposer son fonds d’atelier. Si le musée des beaux-arts de Lyon possède des vitraux et des dessins, aucune exposition n’avait jusqu’à aujourd’hui permis d’étudier l’intégralité de son œuvre. La Bibliothèque nationale possède également un ensemble de gravures représentant des portraits et des paysages. Beaucoup d’artistes du tournant du siècle sont, comme lui, tombés dans l’oubli après une période de forte production artistique.

Comment qualifieriez-vous son œuvre dans l’histoire de l’art ?
Helen Bieri Thomson. L’artiste se situe aux confluents de plusieurs mouvements artistiques. Après des études à l’Ecole des beaux-arts, Gustave Morisot se familiarise avec l’Art nouveau. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’il ait vu des vitaux de Tiffany aux Expositions universelles. Son intérêt pour le symbolisme se fait sentir dans une peinture intitulée La Paix des champs (1922). Au premier plan un verger de pommier, contre un arbre une mère allaite son enfant tandis qu’un homme laboure la terre. Une scène qui regroupe sa fille, sa petite-fille et son gendre dans un décor caractéristique des toiles sereines de l’après Première Guerre mondiale. Morisot n’est pas un précurseur. D’ailleurs son rôle de professeur à l’Ecole des beaux-arts entre 1895 et 1933 confirme son goût pour la tradition classique.

Décrivez-nous quelques-unes de ses œuvres.
Helen Bieri Thomson. Gustave Morisot représente la figure même de l’artiste qui aimerait abolir les frontières entre les arts dits majeurs et les arts dits mineurs. Ses créations couvrent aussi bien le domaine des arts décoratifs que celui des beaux-arts : peinture, vitraux, mobilier et linge de maison. Une grande partie de sa production a été détruite durant les deux guerres mondiales. L’exposition présente la série des Quatre âges de la vie, vitraux en médaillons mettant en scène des figures féminines à différentes époque de la vie. L’enfance et l’adolescence sont représentées sous les traits de sa fille Marcelle, la maturité et la vieillesse reprennent le visage de sa femme Pauline. À chaque médaillon correspond une fleur et un mot symbolique : le lys en bouton ou éclos, le pommier et les pommes de pin trouvent ainsi une correspondance dans le sommeil, le rêve, la réalité et le souvenir. Cette série était destinée à sa maison lyonnaise.

Et l’art décoratif ?
Helen Bieri Thomson. Outre le décor intérieur de sa maison, Morisot a réalisé un ensemble de meubles pour sa fille. L’armoire et les deux tables de chevet présentées se rattachent curieusement au mouvement Art & Craft créé par William Morris en Angleterre. Bien que de style reste rustique, les incrustations de vitraux en forme d’étoiles ornent les vantaux. De 1903 à 1917, il réalise la décoration intérieure pour l’hôtel particulier de la famille Neyron de Champollon, propriétaire de la firme Rasurel. Les boiseries ont été démontées dans les années 1970, elles sont aujourd’hui perdues. Seules des photographies témoignent de la richesse du décor dans un style néo-gothique.

Y a-t-il encore un domaine exploité par l’artiste ?
Helen Bieri Thomson. Le bonheur familial était la principale source d’inspiration de l’artiste comme en témoigne cet album réalisé à la naissance de sa fille en 1883. Comment ne pas être attendri par ce poème orné de dessin et ce portrait de l’enfant endormi ? L’album illustré du Paradis perdu de Milton, conçu durant la Première Guerre mondiale, fait office de véritable plaidoyer contre la guerre. Ainsi le «Mal» et le «serpent» sont représentés sous les traits de Guillaume II. Nous exposons le manuscrit de copie illustré de monotypes et de bitypes. L’album original avait été caché dans une maison de Berk la Plage en Belgique avant la fuite de l’artiste devant l’invasion allemande. Toutes les œuvres présentées dans cette exposition seront certainement données au futur musée des Arts lyonnais.