Derrière les artistes... des céramistes.Picasso, Dufy, Miro, autant d’artistes qui se sont exercés à la céramique parallèlement à leur activité picturale. Le musée Ariana de Genève propose de découvrir ces pièces exceptionnelles et inattendues.
| Pablo Picasso, Vase Femme,
1954 © Coll. Museum Het
Kruithuis |
Le musée suisse de la céramique et du verre accueille la collection du Museum Het Kruithuis de Bois-le-Duc aux Pays-Bas. Après les verres gravés d’Allemagne et de Bohème, le «musée de Sèvres suisse» selon les termes de son conservateur, Roland Blaettler, choisit d’exposer les 80 pièces provenant de l’une des plus belles collections de céramiques d’artistes. Selon lui, tout aurait commencé avec les céramiques de Van Gogh. «Si seulement 60 pièces sont répertoriées dans le monde, ces œuvres étonnantes ont ouvert une brèche dans la création du 19e siècle». Il faut ensuite attendre le développement du mouvement «Arts and Craft» en Angleterre, sous l’impulsion de John Ruskin et William Morris, pour constater un renouveau dans la céramique d’artiste. « Les collaborations et les échanges entre les arts apportent un nouvel esprit d’ouverture. C’est d’ailleurs dans ce contexte que Rodin travaille avec la manufacture de Sèvres ». Les artistes s’initient à cette nouvelle forme d’art dans les ateliers de céramistes professionnels comme André Metthey à Asnières, qui recevra Vlaminck, Matisse, Derain et Van Dongen ou Joseph Llorens Artigas qui fera découvrir les possibilités de ce médium à Dufy puis à Miro.
| Georges Braque, Profil,
1960 © Coll. Museum Het
Kruithuis |
Ce phénomène prend de l’ampleur après la guerre. Dès 1947, Picasso s’installe à Vallauris et travaille dans l’atelier du couple de céramistes, Georges et Suzanne Ramié. Durant 20 ans, il réalise près de 4 000 pièces uniques, une production énorme composée de vases décorés et de créations plus personnelles comme Vase Femme ou encore Plat corrida. Nombre de ses amis suivront dès lors ses traces. « On reconnaît aujourd’hui que Picasso a influencé le développement de la céramique contemporaine ». D’une envergure similaire est la production d’un autre espagnol, Joan Miró. Sa rencontre avec l'artiste Artigas en 1942 se révèle être le commencement d’une nouvelle collaboration. Sa prédilection pour le grès ou la terre réfractaire ne fait que refléter son intérêt pour les matières rugueuses et les peintures rupestres : Tête carrée ou encore cette Terrine anthropomorphe en forme de monstre surréaliste.
« Pour certains artistes, la céramique reste une activité très ponctuelle. Braque, Dufy l’abordent principalement comme un support bidimensionnel. On constate un syncrétisme entre les réflexes du peintre et la manière de faire parler la peinture en deux dimensions ». Qui aurait soupçonné Marc Chagall de fréquenter l’atelier Madoura à Vallauris ? Si sa production, peu connue du public, avoisine les 220 pièces, sa technique n’en demeure pas moins audacieuse et originale à l’exemple du Poisson et les amoureux de Vence. Les œuvres de Braque traduisent l’évolution même de son style : l’Assiette mandoline, issue du cubisme des années 1907-1910, diffère de la poésie de Profil (1960). Fernand Léger aborde la céramique dans des tableaux bas-reliefs réalisés par la technique du moulage puis dans de grandes compositions destinées à orner les murs des villes.
| Fernand Léger, La pomme jaune,
1951 © Coll. Museum Het
Kruithuis |
Le groupe Cobra, créé en 1948 au café Notre-Dame à Paris, rejette toutes les formes d’académisme et encourage la pluridisciplinarité. Les œuvres de Lucebert, Joseph Antoon Rooskens, Corneille, Karel Appel ou Asger Jorn témoignent de cette volonté de révéler l’expression spontanée. Après la dissolution du groupe en 1951, Asger Jorn se consacre entièrement à la céramique et organise dès 1954 les « Rencontres internationales de céramique » à Albissola en Italie. L’art contemporain n’est pas exclu de l’exposition. Ainsi, les Vases hermétiques de Mimmo Paladino, les Plats rehaussés de crânes d’Erik Andriesse, ou encore l’installation de Jan van den Dobbelsteen illustrent les nouvelles tendances. « Il faudrait apprendre à oublier la bataille entre les arts majeurs et les arts mineurs. C’est la personnalité qui fait l’art ». Le musée continue sa mission de revalorisation l'été prochain avec le second volet de l’exposition : Céramiques d’artistes II. Première biennale d’Albissola (27 juin-2 septembre 2002).
| Stéphanie Magalhaes 27.02.2002 |
|