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Expositions

Camouflages
© Charles Fréger
Courtesy Galerie 779, Paris.

Charles Fréger, portraits en uniformes

Ce jeune photographe de 26 ans poursuit son exploration des groupes sociaux.

Formé à l’école des Beaux-Arts de Rouen, Charles Fréger s’oriente rapidement vers la photographie. Il entreprend alors de fixer l’homme dans son contexte social. La manière est toujours nette, précise et la frontalité, systématique. Qu’ils soient joueurs de water-polo, majorettes ou militaires, tous sont traités avec une apparente neutralité et objectivité dans la prise de vue. Dans une démarche taxinomique proche d’un Sander, il dresse le portrait de sa génération dans toute sa diversité. Il ne s’agit nullement de réaliser le portrait archétypal du joueur de water-polo ou de la majorette, mais plutôt de révéler la singularité de l’individu derrière l’uniforme. Celui-ci devient signe, tout comme la gestuelle ou la posture du sujet photographié, qui, décryptés, participent de son identité. La galerie 779 exposait récemment la dernière série, intitulée Camouflages, portraits de jeunes engagés dans le régiment breton d'artillerie marine, pris lors d'un exercice de camouflage, maquillés afin de briser les formes de leur visage. Tous se tiennent devant le même fond brun rouge. L'identité n'apparaît ni dans la tenue vestimentaire, ni au travers de la physionomie. Les traits du visage sont désormais muets et la personnalité de chacun se réfugie alors dans le maquillage. La grande variété dans l'application de la peinture recompose l'identité de chaque «modèle». Stries horizontales, diagonales ou barbouillages irréguliers, tous sont différents. Au sein du visage, perdu dans le fond rouge de l'arrière-plan, seul le regard n'est pas camouflé et acquiert une présence singulière.


Majorettes
© Charles Fréger
Courtesy Galerie 779, Paris
La Maison Européenne de la Photographie présente quant à elle la série des Majorettes, un ensemble de clichés qui optent pour le même parti typologique. Charles Fréger a travaillé durant trois ans dans le Nord-Pas-de-Calais. Les majorettes, réparties sur le territoire en diverses «bandes», incarnent d'autres communautés, d'autres codes. Leur uniforme est, contrairement au précédent, chatoyant, coloré : le but étant non de se camoufler mais, au contraire, de se distinguer. Toutes ces jeunes filles sont photographiées frontalement, sur un fond neutre ou dans une quelconque salle municipale. Malgré cette continuité dans la démarche et dans les modes de prises de vues, ce travail présente une particularité, celle d'interroger non seulement une communauté, mais surtout une frange de la société contemporaine. Et à la vue de ces clichés, force est de constater qu'il persiste, au sein de cette société que l'on proclame tolérante et égalitaire, un sentiment de classe, dont nous-mêmes peinons à nous départir. De cette observation, naît chez le spectateur une certaine gêne. Mais la manière objective, évitant toute mise en scène, et la dignité de ces jeunes filles devant l'appareil témoignent qu'il n'y a aucune ambiguïté dans la démarche de Fréger. Le photographe inverse la donne, ce sont en fait elles qui nous regardent. À travers elles, nous nous découvrons juges ridicules. Ces deux séries photographiques attestent, comme l'ensemble de l'œuvre de Fréger, qu'il demeure, au sein de chaque communauté et derrière tout uniforme, l'individualité de chacun des êtres qui la composent.


 Raphaëlle Stopin
07.03.2002