L'heure de Maastricht

Avec ses 200 marchands d’art venus de 13 pays et son équipe d’une centaine d’experts chargés d’authentifier les pièces exposées, la principale foire d’art et d’antiquités du monde ouvre à nouveau ses portes dans la plus ancienne ville hollandaise, Maastricht. Comme chaque année, TEFAF (The European Fine Art Fair) réunit de nombreuses disciplines allant des peintures anciennes aux objets archéologiques égyptiens, sculptures contemporaines et autres manuscrits médiévaux.

Imaginons qu’un directeur de musée dispose d’un budget illimité et qu’il ait la possibilité de choisir librement des chefs d’œuvres à TEFAF 2002... Que choisirait-il ? Nous avons interrogé Ulrich Schneider, du musée Suermondt Ludwig à Aix-la-Chapelle, qui a répondu sans hésiter… Le Saint Pierre dormant, l’une des quatre sculptures du Groupe du mont des oliviers d’Hans Halder, proposé par Sascha Mehringer de Munich, serait, pour lui, l’une des pièces les plus recherchées. La sculpture en bois date des années 1470 et le groupe entier coûte environ 180 000 €. Si le directeur du musée avait l’occasion de faire une autre acquisition, ce serait la Vierge en trône avec un enfant de 1400. Le musée d’Aix ne dispose que de cinq ou six pièces de cette époque ! Une tel achat de 98 000 € enrichirait sa collection, d’autant plus que la statue en bois, mise en vente par Jan Dirven d’Anvers, est de la main de l’un des représentants du style international, témoin d’une époque où le gothique florissait dans toutes les cours européennes.

Ces œuvres, ne sont qu’une petite partie de la gamme proposée mais elles sont représentatives de la haute qualité atteinte chaque année par cette foire, qui se tient pour la quinzième fois. Pour étaler le flot du public, qui, l’an passé, flirtait avec les 60 000 visiteurs, on a ajouté une journée, le temps de mieux regarder ces objets en nombre et, éventuellement, de les acquérir…

Cette année, la peinture la plus chère de la foire est la Minerve de Rembrandt, exposée par Otto Naumann de New York. La déesse de la sagesse, de l’artisanat et de la guerre est revêtue d’une cape rouge et léve les yeux comme si elle lisait un livre. Elle est estimée à 40 millions $. Bernheimer-Colnaghi propose une huile sur toile de Lucas Cranach l’Ancien, Vénus et l’Amour ou le voleur de miel, qui illustre la manière dont la douceur peut suivre immédiatement la souffrance. Amour, qui a dérobé du miel dans une écorce d’arbre, découvre Vénus nue. La punition pour ses pensées lubriques suit aussitôt. Les abeilles le piquent impitoyablement. Est-ce pour des raisons semblablesque le prix de la toile n'est révélé que sur demande? Un portrait réversible d’un homme fait de fruits d'Arcimboldo est l’une des autres œuvres dont le prix est très élevé. Pour 4 millions $, la New Yorker French & Company vend cette toile dont l’originalité réside dans la possibilité de la déchiffrer de deux manières : dans un sens, une corbeille de fruits et dans l’autre, une tête joufflue. La Madeleine pénitente de Murillo est mise en vente par Stair Sainty Matthiesen de New York pour 1,75 millions $. La pécheresse y est représentée agenouillée devant un crâne dans un paysage sombre et pesant.

Brame et Lorenceau de Paris ont rapporté dans leurs bagages un Vase de coquelicots d’Odilon Redon. L’huile, estimée à 850 000 €, représente un bouquet de fleurs dans un vase se détachant sur un fond moucheté de couleur pastel. Les fleurs de coquelicots sautent pourtant aux yeux. Pour la même somme en dollars, on peut également trouver le Portrait de Lidia Schbelsky, baronne De Staël-Holstein de Franz Xaver Winterhalter, dans son cadre rococo du 19e siècle. Le new yorkais David Tunick a apporté Jazz d’Henri Matisse, estimé à 250 000 $. Pour 850 000 €, un visiteur peut aussi acquérir Conseils d’ami, une œuvre de Max Ernst, datée de 1923 (galerie Brusberg de Berlin). Sur une vaste plaine, on voit un pied et une fleur aux pétales bleus qui semblent flotter sur des supports de fortune. L’exposant salzbourgeois Salis & Vertes a installé une œuvre de la période rose de Picasso qui devrait trouver acquéreur pour 5 millions €. Quant à la Tête de Chevreuil de Gustave Courbet, peinte en 1866 et proposée par Stoppenbach & Delestre de Londres, elle devrait elle atteindre 300 000 £.

L’art contemporain est également représenté avec un fusain de Gilbert & George, The Head Afloat on Top Levels on the Horizon of Our Thought, à la galerie Daniel Blau de Munich. Avec des lignes et des traits les plus fins possibles, les deux artistes ont composé un paysage semblable à une jungle et deux portraits, composition estimée à 195 000 €. Quant à la Nature morte aux fruits de Maurice de Vlaminck, elle est mise en vente par une célébrité locale, Noortman, pour 205 000 €. L’artiste français y dépeint une nature morte moderne avec du vin, une carafe et des fruits.

Du côté du mobilier, Senger de Bamberg expose cette année un cabinet des années 1735. Le meuble est couvert de 66 panneaux peints de scènes historiées. Sur les côtés, des tiroirs sont dissimulés. On trouve également dans la foire des œuvres de David Roentgen comme un bureau-table à jouer en bois de rose présenté par Otto von Mitzlaff de Wächtersbach. Ses pieds peuvent être dévissés et le corps laqué porte un décor floral. L’intérieur de la table est creux, de manière à y ranger des objets lorsqu’on ouvre le corps et qu’on soulève le couvercle. La galerie Blondeel-Deroyan de Paris propose un tapis en laine et soie, estimé à 475 000 €. Intitulé Un enfant à la croisée des chemins entre la dignité le pouvoir et la beauté, il arbore une perspective spatiale caractéristique de la Renaissance. Tissé durant la première moitié du 16e siècle, il retrace une histoire complexe dans des tonalités rose, bleues, jaunes et vertes. Franz Bausback de Mannheim propose lui un tapis égyptien en laine des années 1530.

Hormis ces œuvres exceptionnelles, TEFAF a prévu de plus petits budgets. Avec l’objectif de s’adresser à un public plus jeune, le salon fait cette année une place au design de la première moitié du 20e siècle. Frans Leidelmeijer a ainsi rapporté de ses espaces d’Amsterdam une chaise caisse de Gerrit Rietveld de 1934, un fauteuil à accoudoirs en bois peint de blanc estimé à 8 800 €. De même, le bruxellois Phillippe Denys a suivi son exemple et réunit un ensemble de quatre tables en bois de cerisier et cuir de couleur bronze.

Les exposants venus des Pays-Bas, de Grande-Bretagne et d’Allemagne peuvent présenter des objets à moins de 5 000 €. Ainsi un masque de momie de 300 av. J.-C. vendu pour 1 600 € par Zilverberg d’Amsterdam, les boîtes à priser du 18e et du 19e siècles du londonien Robert Hall, estimées autour de 3 000 €, ou la centaine de vanités et de memento-mori du cabinet de curiosités Georg Laue de Munich. L’exposant Wartski de Londres propose quant à lui un pot en argent de Fabergé pour 10 000 €, ainsi que des objets d’art et des bijoux à partir 2 000 €. Soit 20 000 fois moins que la fameuse Minerve…