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Expositions

Dournon à Kercroc. Photo: Françoise Monnin

Dournon, vingt ans après

Prix de Rome en 1982, Dournon continue à réinventer le dessin. Le musée de Libourne présente sa dernière décennie de création.

«C'est important : je présente des œuvres dont je ne suis pas sûr, car elles ne sont pas jolies». Toujours aussi inquiet, Jean-Jacques Dournon inspecte l'accrochage, réalisé sans lui par le conservateur du musée ; 52 toiles ou papiers, dont certains en très grand format ; dix ans de travail. L'artiste toise surtout la série en noir, bleu et blanc, baptisée «les icomages», qu'il avait imaginée après un évènement dramatique, en 1990 : l'étouffement et la mort de supporters, dans un match de football, en Belgique. Lui qui, depuis plus de vingt ans, cherche encore et toujours à donner davantage de souffle aux grandes formes qu'il trace au fusain, avait été choqué, à cette occasion, au point de dessiner une longue série.


Jean-Jacques Dournon, Sans titre,
fusain, 1990,
Photo: Françoise Monnin
© ADAGP
Quelques lignes souples y suggèrent les corps. D'autres lignes, à angles droits, symbolisent les grilles derrière lesquelles s'était déroulé le carnage. L'ensemble est cerné de marges, où défile une écriture volontairement incompréhensible, évoquant toutes les formes du commentaire. Solennel, épuré, essentiel, l'ensemble intime le respect, tout en dénonçant l'absurdité. Et, en dépit de l'horreur, comme dans ces séries de cadavres dessinées par Zoran Music à sa sortie des camps de concentration nazis, il s'agit de paysages.

Car il ne peut dessiner que cela, celui qui a grandi dans la complicité des derniers maîtres de l'abstraction ; sous le regard bienveillant de la peintre Vieira da Silva, notamment ; et, aussi, avec les conseils du poète Guillevic. Toujours, Dournon dialogue avec les contours de l'espace et avec l'infini du souffle. Les œuvres plus récentes, choisies pour l'exposition, en témoignent. Paysages de Bretagne à marée basse, lorsque le soleil rebondit étrangement sur la falaise, la série «Kercroc» est éclatante. Elle n'en finit pas de rappeler qu'au delà de la ligne, de la composition, de la couleur, ce qui fait un grand peintre, c'est la liberté de son geste, la capacité qu'il a à transmettre l'énergie qui le traverse lorsqu'il s'attelle à la représentation. Si l'œuvre de Dournon vieillit si bien, c'est qu'elle célèbre la vitalité fondamentale. Au delà de l'instinct de survie, elle parle de l'envie de vivre.


 Françoise Monnin
09.03.2002