Cabinets de curiosités à la sicilienne

Cette exposition magnifique, pensée par Vincenzo Abbate, a vu le jour grâce aux merveilles conservées dans les réserves du palais Abatellis, provenant en général des fonds de l'ancien Museo Nazionale di Palermo. Son ambition a consisté a mettre en valeur la richesse et l'originalité des Wunderkammern, les «cabinets de curiosités», de la Sicile d'autrefois. Ces collections privées associaient, comme c'était l'usage à l'époque, œuvres d'arts, chefs-d'œuvre de l'artisanat, curiosités naturelles et scientifiques dans une conception qui a survécu jusqu'au 18e siècle avant l'apparition des musées spécialisés que nous connaissons encore de nos jours. Et elles n'avaient rien à envier à celles qui ont été rassemblées à grands frais en Europe.

Dans la première partie du parcours se trouve un petit tableau de Franz Franken montrant l'intérieur d'une boutique d'antiquaire aux murs recouverts de tableaux en tous genres, aux meubles garnis de statuettes et d'objets précieux. Un autre tableau, d'auteur inconnu, présente une nature morte avec un superbe drapé et une série d'objets de prix posés sur une table : les instruments de musique voisinent avec des coquillages et un coffret à tiroirs en ivoire cohabite avec du corail, un livre ancien et un globe terrestre. À nos yeux, les Wunderkammern peuvent sembler un gentil bric-à-brac sans queue ni tête. Pour les amateurs de l'époque, ils contenaient les choses les plus rares, les plus singulières et les plus recherchées au monde. La peinture est placée à l'enseigne de cette bizarrerie. Ne contemple-t-on pas un Vieillard effeuillant une laitue (17e siècle), un Adolescent à la mine effarée tenant un panier de figues (17e siècle) ou un délirant Orphée de Pietro d'Asaro autour duquel les hommes et les animaux (y compris une autruche et une licorne) se sont attroupés au son du violon ? Autour de ces toiles sont disposés des meubles excentriques et des objets provenant des quatre coins du globe.

La seconde partie du parcours, vraiment extraordinaire, reconstitue en partie la collection savamment et patiemment agencée par Don Salvatore Maria Di Biasi. Celui-là même qui a transformé la bibliothèque de l'abbaye de San Martino delle Scale, sise alors aux portes de Palerme, en un trésor inestimable. Un portrait du grand homme nous accueille. On le voit au milieu de ladite bibliothèque posant devant un grand vase grec. Mais à côté des vestiges de l'antique, il y a un grand nombre d'objets d'origine islamique, comme ce superbe plat en céramique du 16e siècle ou de magnifiques brocs en terre cuite de la même époque aux décors en relief. On y trouve les objets les plus extravagants, comme des émaux de Limoges, des scènes en bronze de la fin de la Renaissance, d'énormes vases monumentaux en faïence de la bottega de Francesco Mezzarisa, d'incroyables coquilles de nautiles ornées de représentations animalières au filigrane d'argent, des coupes ciselées et décorées de petites figures rappelant un temple hindou, des coupes, des calices ou des vases en verre de Venise, de phénoménales créations en filigrane d'argent du 18e siècle, sans parler de ces plats décorés avec des scènes historiées tirées de la mythologie et peintes par Carlo Antonio Grue.

Cette exposition est précieuse à plus d'un titre. Elle offre un réel plaisir des sens. Elle donne une meilleure connaissance des valeurs fondamentales qui guidaient les riches et érudits collectionneurs d'autrefois. Et permet de mieux percevoir la différence majeure entre les Wunderkammern et les musées modernes. Il s'agissait alors de mettre en scène le monde sous ses aspects les plus révélateurs et exemplaires et non pas de montrer les ouvrages majeurs et les créations les plus représentatives d'un style, d'une ère, d'une école donnée. Autant de raisons qui justifient le déplacement…