Le Mondrian d'avant Mondrian

L'entrée déçoit. Ainsi, l'un des inventeurs de l'abstraction, le plus dérangeant, le plus radical, a commencé sa carrière comme tout peintre de son époque, en peignant des arbres, des fermes et des ruisseaux... Les tableaux sont sages, les cieux, limpides, les formats, modestes. Mondrian, en 1892, étudie à l'académie des beaux-arts d'Amsterdam. Dès la deuxième salle de l'exposition, chronologique, consacrée au moment où le jeune homme s'installe à Paris, les images sont heureusement plus troublantes. «Après plusieurs années de travail, mon œuvre, inconsciemment, se mit à dévier de plus en plus des aspects naturels de la réalité», écrit le peintre. Ses toiles sont encore réalistes, mais, ici et là, un canal ou un chemin trace une ligne étrangement radicale. Un portrait de femme est rendu symétrique par un motif de passiflores qui l'encadre.

Elle vient lentement et sûrement, la passion de Mondrian pour la géométrie. «L'expérience était mon seul maître», dira-t-il à propos des années 1904-1908. Il s'intéresse alors aux crépuscules et aux aurores, transforme les forêts et les moulins en simples présences, pour mieux se consacrer à l'intensité des couleurs. Le Nuage Rouge de 1907, présenté dans la cinquième salle, marque une étape. Le Paysage de dunes, de la même année, avec sa composition à base de motifs triangulaires, le confirme. Viennent ensuite un phare tout rose, un moulin incroyablement rouge, des corps de femme bâtis comme des cristaux d'améthyste. «Je sentis que seuls les cubistes avaient découvert le bon chemin» : dans la dernière salle, les natures mortes et les arbres pleureurs s'évanouissent, pour que ne triomphent que les lignes droites et la vibration des couleurs. L'abstraction est née. Non pas du néant, mais de l'épuration. C'est magique.