Un Gauguin inédit sous le marteauLe Pont roulant mis en vente par maître Declerck, à Douai, vient enrichir le petit corpus des œuvres de jeunesse de l'artiste.
| Paul Gauguin, Le pont roulant au
bord de la Seine, avec à l’arrière
plan les usines Cail et le quai de
Grenelle, huile sur papier,
33 x 47 cm |
Il y a quelques mois, maître Patrick Declerck était contacté par des clients résidant dans le sud de la France qui voulaient lui proposer des tableaux modernes. Parmi ceux-ci, une petite huile sur papier les intriguait. «Au revers, il y avait une annotation : Cette étude est faite par Paul Gauguin en 1876. à Paris M Gauguin 29 S 05. Soit, une certification de la main de Mette Gauguin, rédigée en 1905, deux ans après la mort de son époux. Au début, personne n’y croyait, même pas moi. Pourtant le papier jauni indiquait l’ancienneté de l’œuvre tout comme l’écriture en pleins et déliés. Ce qui m’a finalement convaincu, c’est la période. Pourquoi faire un faux Gauguin de jeunesse plutôt qu’une œuvre de Pont-Aven ou une toile tahitienne ? En effet, seules quarante-cinq œuvres des années 1873-1878 subsistent aujourd’hui, témoignant des essais de Gauguin qui, avant de découvrir le synthétisme, s’essaie à changer de manière, s’inspirant librement de Corot, Daubigny, Boudin ou Jongkind.
Le travail du commissaire-priseur de Douai commence à ce moment-là. Il s’agit de comprendre comment l’œuvre a pu arriver dans la famille. «On a redécouvert l’existence de deux frères : un poète, le drôle d’Albert dont parle Charles Trenet dans sa chanson Fidèle, fidèle je suis resté fidèle et un peintre de paysage, Louis, qui a vécu un temps au Bateau-Lavoir. On peut supposer que la peinture de Gauguin est entrée dans la collection à leur époque». Une fois cette piste retrouvée, Patrick Declerck se met en quête du sésame, le certificat d’authenticité de l’institut Wildenstein, qui vient justement de publier la première partie du catalogue raisonné de l’œuvre peint de Gauguin. Celui-ci est aujourd’hui obtenu et il sera remis dimanche à l’acquéreur du Pont roulant au bord de la Seine, avec à l’arrière plan les usines Cail et le quai de Grenelle.
| Paul Gauguin, Le pont roulant au
bord de la Seine, huile sur toile,
81 x 116 cm, collection privée |
La petite huile fait partie de la série d’œuvres dans lesquelles Gauguin explore les abords de son domicile, au 54, rue de Chaillot. Y appartiennent également La Seine au pont d’Iéna conservée au musée d’Orsay, La Seine en face du quai de Passy, Les usines Cail et le quai de Grenelle ou le Port de Grenelle qui figurent dans des collections particulières. Elle doit être directement mise en rapport avec un tableau de 1875 intitulé Pont roulant au bord de Seine (collection privée) analysé par S. Crussard dans le catalogue raisonné. En s’appuyant sur un constat d’invraisemblances topographiques, l’auteur y explique que «Tout semble donc indiquer que ce motif n’a pas été trouvé dans la réalité, mais qu’il résulte d’un montage d’éléments tirés d’œuvres antérieures : Gauguin ayant adjoint à une étude de pont roulant (aujourd’hui disparue, mais qui a pu exister) un arrière-plan d’éléments (usines Cail et berges de Passy) repris des numéros 16 et 19». Si on admet que Mette Gauguin ait pu se tromper de quelques mois concernant la datation d’une œuvre graphique qui remontait alors à près de trente ans, on peut supposer qu’il s’agit de l’étude sur le vif dont Gauguin se servit pour exécuter la toile en atelier.
Quant à savoir le prix que l'œuvre atteindra, maître Declerck se montre plus réservé. «L'estimation… c'est un peu le problème. Il s'agit d'une étude sur le motif, d'un travail de jeunesse et non d'une œuvre bretonne ou tahitienne.C'est une pièce à valeur historique que l'acheteur devra restaurer. En parlant en francs, on pourrait donner la fourchette large de 300 000 FF à 1 000 000 FF.» Verdict dimanche après-midi.
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