La multiplication des JocondesUne Joconde, d'auteur anonyme du 17e siècle, a récemment atteint 150 000 euros en vente publique. Le marché des copies de la célèbre dame fait preuve d'une étonnante vitalité…
| Peintre anonyme du 17e siècle,
la Joconde
vendue pour 149 000 € |
Le 21 mars dernier, l'une des vedettes de la vente viennoise de tableaux anciens de la maison Dorotheum était une copie de la Joconde. Estimée entre 70 000 € et 100 000 €, elle a été acquise pour 149 000 € par un collectionneur de Floride… Le prix ne manque pas de surprendre même si la peinture a été datée du 17e siècle grâce à l’analyse chimique des pigments, menée par un spécialiste, le professeur Mairinger. On est pourtant bien loin du record de 552 500 $, atteint le 12 janvier 1995 lors d’une vente new-yorkaise de Sotheby’s. Dite Vernon Mona Lisa, cette œuvre témoigne du culte voué à Léonard de Vinci avant même qu’il ne meure en 1519 à Amboise. Datée du 16e siècle et peinte sur toile, à une époque où ce support prenait son essor, elle est en effet attribuée à l’un des Leonardeschi, ces artistes actifs au début du 16e siècle à Milan. Quand le mythe ne va pas jusqu’à l’attribuer au maître lui-même ! En 1933, les descendants de William Henry Vernon, qui l’ont conservée jusqu’en 1995, avaient ainsi envoyé leur peinture pour analyse au musée Fogg de Cambridge, afin de corroborer le récit familial. William Henry Vernon serait revenu en 1797 dans sa ville natale de Newport, au sud de Boston, après plus d’une décennie passée en France. Dans ses valises, il rapportait 55 toiles prestigieuses dont la Joconde, reçue des mains de Marie-Antoinette, pour le remercier de l’avoir protégée et d’avoir pris soin du jeune Dauphin.
| Léonard de Vinci, La Joconde.
Photo : RMN / Musée du Louvre |
Au-delà de ces légendes, comment expliquer un tel engouement ? Si l'acquéreur américain qui s’est manifesté chez Dorotheum se refuse à toute déclaration, les explications mises en avant dans les catalogues de vente permettent d'élaborer quelques hypothèses. Dans un cas comme dans l’autre, l’ancienneté des œuvres est mise en valeur selon deux axes. D’une part, les copies seraient très rares en comparaison avec celles d'autres peintures célèbres de la Renaissance, signées Raphaël ou Michel-Ange. L'explication la plus vraisemblable de ce fait étant que l'œuvre passa directement des mains de Léonard de Vinci à celles de François Ier. Et qu’elle demeura dans les collections royales jusqu’à son entrée au Muséum central des arts au Louvre, en 1798. D’autre part, ces copies seraient en quelque sorte plus originales que l’originale… En représentant l’entière élévation des colonnes, dont on ne voit que les bases s sur le tableau du Louvre, elles restitueraient le véritable format du fin panneau de peuplier. Large de 53 cm, la peinture du Louvre aurait été amputée de quelques centimètres sur les côtés afin d’être intégrée dans un cadre plus petit. Ce qui expliquerait la différence de largeur avec la copie du Dorotheum (56 cm) ou avec celle de Sotheby’s (59cm).
Confrontés aux informations détenues par le Louvre, ces arguments perdent singulièrement leur valeur. Tout particulièrement en ce qui concerne la rareté des copies anciennes. Interrogée à ce sujet, Cécile Scaillierez, conservateur au département des peintures, explique : «Il est vrai qu’il n’existe pas beaucoup de réelles copies. Cependant, nous en avons une au Louvre, une autre est conservée au Prado, une troisième à Liverpool. Sans compter une vingtaine d’exemplaires en mains privées, des copies suffisamment fidèles pour que les collectionneurs aient essayé de les négocier à leur avantage, en prétendant détenir l’original ou une seconde version de Léonard. En 1952, à l’occasion d’une exposition, 52 copies avaient ainsi été répertoriées». Comment explique-t-on ce nombre, malgré la présence de la peinture dans les collections royales ? Les archives fournissent de nouvelles surprises. «Comme toutes les peintures des collections royales, la Joconde a été copiée par des artistes envoyés par des seigneurs et des grands financiers de la Cour; ça n’était pas dévalorisé. L’inventaire après décès de Sébastien Zamet nous apprend que ce banquier d'Henri IV en possédait une. On sait également qu’Henri IV lui-même chargea un peintre officiel, Ambroise Dubois, d’effectuer une copie qui devait remplacer l’original dans les appartements des bains de Fontainebleau, où la présence d’étuves risquait de l’endommager». Selon Cécile Scaillierez, il en va de même pour la question du format. «Les copies ont insisté sur les colonnettes et les ont parfois entièrement reconstituées. Mais c’est à tort que l’on a dit que le tableau avait été coupé». Ces désillusions sur la valeur «historique» exceptionnelle des copies ne doivent pourtant pas attrister les collectionneurs. «Il y a des copies très belles. Si la facture est ancienne, elles peuvent avoir un réel intérêt», conclut la conservatrice.
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