Le labyrinthe d'acier de KounellisQualifié d'artiste «excrémentiel» par le secrétaire d'Etat italien à la Culture, Jannis Kounellis poursuit chez Daniel Lelong sa recherche sur le symbole et l'universel.
| Kounellis, Kounellis
© Galerie Lelong |
Né en Grèce en 1936, Kounellis choisit, à l’âge de vingt ans, l’Italie comme pays d’adoption. Etudiant à l’Académie des Beaux-Arts de Rome, il ne quittera plus la ville, où il habite et travaille encore aujourd’hui. Assimilé au mouvement d’avant-garde italien de l’Arte povera, Kounellis se fait connaître à la fin des années soixante, avec une œuvre qui a fait date : l’installation de douze chevaux vivants dans la galerie de l’Attico à Rome en 1969. L’initiative participe alors de la volonté, partagée par de nombreux artistes à l’époque, de remettre en cause l’acception traditionnelle de l’espace d’exposition, le «white cube», transformé pour l’occasion en écurie. Mais le geste de l’artiste interroge également la nature de l’œuvre d’art, en se plaçant dans une perspective que l’on peut qualifier de duchampienne, bien que le readymade ait, ici, la particularité d’être organique. Plus que le quotidien, Kounellis introduit la vie dans l’espace de la galerie. Davantage qu’une démystification de l’objet d’art, il s’agit de faire retour à la nature. Si la forme conventionnelle de l’œuvre se trouve bouleversée, sa matérialité n’est nullement contestée, a contrario des pratiques artistiques conteporaines d’un Kosuth ou d’un Weiner. Kounellis, praticien au début des années soixante, d’une «peinture de signes», (récemment présentée à la galerie Karsten Greve à Paris), se dirige à la fin de la décennie vers une œuvre tentant la synthèse entre artefact et nature. Le matériau, pris dans son état le plus brut, est porteur d’une énergie propre, dite «pure», qui n’est pas sans évoquer une certaine vision panthéiste du monde. Comme le laissait supposer le choix du nombre douze dans son installation à l’Attico, l’œuvre de Kounellis n’est en effet pas dépourvue d’une dimension symbolique et mystique.
Tôles, toile de jute, acier, charbon, cordes sont depuis trente ans, les matériaux de prédilection de l’artiste. L’installation monumentale exposée chez Daniel Lelong, faite de ces mêmes composants, joue habilement du cadre de sa présentation, contrastant avec ce volume simple aux murs blancs, sa force visuelle n’en est que plus frappante. Véritable labyrinthe d’acier, l’œuvre requiert du spectateur qu’il y pénètre, qu’il l’expérimente. Cette convocation des sens, déjà présente en 1969 à la galerie de l’Attico (pièce qui en appelait à l’odorat), participe de la recherche d’un langage artistique universellement compréhensible. L’œuvre est éminemment présente, concrète, irréductible à un concept. Elle impose une expérience directe, sans intermédiaire. Elle ne vise pas à se distinguer du monde, elle est le monde, celle par qui le spectateur reprend possession du réel. À l’heure où Jannis Kounellis est l’objet d’attaques virulentes de la part du gouvernement de Silvio Berlusconi - Vittorio Sgarbi, ministre de la culture, a qualifié son art d’«excrémentiel» - l’exposition à Paris de l’œuvre récente de l’artiste ainsi que la prochaine rétrospective qui se tiendra au SMAC de Gand, sont les bienvenues.
| Raphaëlle Stopin 06.05.2002 |
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