Janne Lehtinen, l’autre album de familleAvec Les descendants, la galerie du Pôle Image propose la première exposition française du photographe finlandais, Janne Lehtinen.
| Janne Lehtinen, Les descendants
© Janne Lehtinen |
L’œuvre est autobiographique, prenant racine dans l’histoire personnelle de l’artiste. Lehtinen se fait le narrateur d’un roman dont il nous conte seulement les instants tragiques. Le meurtre d’une jeune fille, la tentative de suicide du père, l’accident de voiture de deux camarades de classe, la mort d'un chien, la schizophrénie du frère, la vie de Lehtinen est émaillée de drames et sa famille, marquée au sceau de la tragédie. Devant cette succession d’événements, il s’interroge : existe-t-il un moyen d’échapper à ce qui semble être une fatalité ? L’exorcisme se fera par la photographie, qui devient instrument thérapeutique par le biais de l’autoportrait et de la mise en scène. Janne Lehtinen retourne hanter le lieu de tous ses tourments, la maison de sa grand-mère, située dans une contrée reculée de Finlande. Revêtu des vêtements de son père et accompagné d’un cousin, le photographe s’attache à reconstituer ces moments funestes, dans l’espoir de soustraire les générations à venir au destin familial, «de briser ce cercle infernal». Quelques textes, récits factuels d’événements passés, disposés de part et d’autre des clichés, replacent ces images dans un contexte qui demeure cependant imprécis : rien n’est dit de l’identité du ou des narrateur(s), ni de la chronologie des faits exposés.
Ses photographies investissent des lieux de mémoire. De cette exploration du passé, résultent des clichés d’une grande variété typologique : les genres abordés et les formats employés sont multiples. Le vaste sous-bois, le tube de comprimés, le cliché d’un fait divers sont autant de pièces rapportées, retraçant le voyage de Lehtinen dans son histoire personnelle. Singularité qui, loin d’exclure le spectateur, le renvoie à sa propre histoire familiale. Le photographe ne cherche pas à faire sens au travers de l’archétype mais bien au contraire par l’ancrage profond dans le singulier. Si diverses soient leurs apparences, il se dégage de ces clichés, à la beauté sans fard, un sentiment unanime, celui d’une irrémédiable déréliction. La remise dans laquelle on distingue, au milieu d’un capharnaüm indescriptible, un vélo, un fauteuil déglingué siégeant sur un parterre d’herbes folles, à proximité d’un fatras de bois : ces paysages témoignent de l’entropie à l’œuvre dans ces lieux. Les autoportraits, dotés d’une présence visuelle frappante n’y échappent pas. Souvent pris en intérieur, dans l’espace clos de petites pièces encombrées, ils partagent une même force et sont habités de cette même tension, quasi-palpable. Les deux personnages, placés dans un espace restreint, semblent lointains, définitivement étrangers l’un à l’autre. Aucun regard n’est échangé dans l’espace de la photographie. Ces clichés nous donnent à voir des moments de flottement, d’indétermination, un entre-deux où semble régner l’inertie. À l’image de cet intérieur à la coiffeuse, c’est «l’absorbement» qui souvent, habite le cliché et occupe son centre. Et, au milieu de ces photographies, un intrus : un cliché de Janne Lehtinen, aux côtés d’une jeune femme en train de langer un bébé. Plus de reconstitution d’un passé douloureux ici, ce nouveau-né, qui nous regarde dans les yeux, atteste : le sort est désormais brisé.
| Raphaëlle Stopin 17.04.2002 |
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