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© 20002, Éditions de la Martinière,
Paris (France)

Barbey d’Italie et ses années soixante

Bruno Barbey, le photographe de Magnum, publie enfin ses images italiennes en noir et blanc. Elles auraient mérité des commentaires plus approfondis.

Tout y est : les murs lépreux, les vieux en chapeau palabrant sur la place avec force gestes, la Cinquecento en stationnement interdit, la Vespa et les lunettes noires, les tifosi au match du dimanche. Le projet a eu une longue gestation. Comme il l’explique dans la préface, Bruno Barbey s’y était lancé avec la fougue de ses vingt ans, alors qu’il était étudiant à l’école des beaux-arts de Vevey, en Suisse. Il devait s’inscrire – on était alors avant mai 1968 - dans la collection «Encyclopédie visuelle» de Robert Delpire, qui accueillait déjà Les Américains de Robert Franck et Les Allemands de René Burri.

Avec l’Italie, difficile d’éviter les clichés. Tant pis, ils sont si savoureux ! Les prêtres y ressemblent forcément à Don Camillo, le linge pend dans le cortile, les comtesses vivent sous les fresques et le latin lover déclame sa tirade, accoudé sur de vieilles pierres. Les courts textes de Tahar Ben Jelloun ont leur charme mais ils sont eux-mêmes une interprétation de la photographie, ils n’informent pas. En faisant le portrait de ses Hommes du vingtième siècle, August Sander précisait scrupuleusement le métier de chacun. Ce n’était pas déchoir ni enlever leur force aux clichés. Ici, en l’absence de légendes, on quitte le documentaire pour tomber dans la scène de genre, dans un paysage urbain indifférencié, dans une campagne simplement «italienne». On le regrette : ces images, bien commentées, auraient fourni une vivace introduction à l’Italie, elles auraient composé un petit tableau de civilisation.

Cet étrange sigle «W il P» derrière ces femmes en fichu, recueillies, les mains jointes ? On parierait pour une procession dans le grand sud avec des professions de foi jusque sur les murs, «W il P» étant l’abréviation codée de «Viva il Papa» (Vive le pape)… Et cette jeune fille descendue de l’autobus, cette fleur tombée d’un bouquet fané ? Elle vient en fait de quitter le tram grinçant qui emmène les employés milanais vers les banques de piazza Cavour… Et ce poissonnier napolitain affamé, qui se jette sur les poulpes de son déjeuner ? Voilà une image qui a tant à dire, et on la laisse muette ! Sur le papier journal qui enveloppe les céphalopodes, on lit Ormai il PCI in Sicilia fa parte della maggioranza ( Le parti communiste fait désormais partie de la majorité en Sicile). Une époque bien révolue : Forza Italia de Silvio Berlusconi contrôle tous les sièges de l’île. En revanche, l’affiche nécrologique, lacérée, à l’angle du mur se rencontre encore de nos jours : celle-ci pleure un expert-comptable, Salvatore Ferace. Et ainsi de suite : à trop vouloir donner une valeur universelle à la photographie, on en oublie sa puissance documentaire. C’est dommage…


 Rafael Pic
19.04.2002