| © R. Decottignies |
Kirili sur les terres de CarpeauxAu musée de Valenciennes, le plasticien se mesure avec son illustre ancêtre.
Depuis bientôt trente ans Kirili pratique le modelage. Toujours des pièces uniques. Sans dessins préparatoires et dans une exécution très rapide, qui échappe à la tradition. En effet, il faut l’imaginer, dans son atelier, prenant quelques mètres d’élan avant de se jetter, tel un animal, sur son bloc de terre. A la manière d’un pilier de rugby qui entre en mêlée, le cou tendu, bien décidé à en découdre et à en faire voir de toutes les couleurs à son adversaire. C’est tellement impressionnant et inattendu que l’on se surprend même à en sourire, tant la violence et l’impudeur qui se dégagent de ce corps à corps, très réel et presque obscène, nous mettent face à des émotions qu’il nous arrive trop souvent de gommer pour ne pas avoir à les affronter.
Les doigts, la main, le pouce. Carresses, claques, coups de poing. Tout y passe et sans honte. Secouée, ballottée, malmenée : la terre est comme une chair que l’on fouille. Sans fioritures ni chichis. Le pouce, en particulier, qui s’enfonce. Au plus profond. Entre douleur et plaisir, à la recherche du point de rupture. On sent l’implication physique. L’énergie corporelle enfouie. Tout cela très rapidement et sans compter. C’est la force, la puissance de la libération, de la pulsion et de la sexualité qui l’intéressent. L’élan vital. L’intimité de l’étreinte. A pleines mains, Kirili ouvre, incise, délivre. D’un dernier coup de tranchant, comme à l’étal d’un boucher, son bloc d’argile, en deux parties, s’impose comme un sexe béant dont les lèvres frémissent encore sous la violence de l’effraction. Un dévoilement complet, très efficace, que Kirili complète par une confrontation parfaitement réussie de ses terres, avec celles du maître des lieux Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), le célèbre sculpteur de la Danse de l’Opéra-Garnier à Paris, dont le musée de Valenciennes conserve quelques-unes des ébauches les plus réussies. Dialogue, plein de courage et de spontanéité, où les oeuvres se côtoient, presque à se toucher, dans un corps à corps particulièrement fructueux.
| Valère Bertrand 12.04.2002 |
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