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Matisse relit le «Prince des poètes»

Après la récente acquisition d’un exemplaire de Poésies, le musée Mallarmé de Vulaines-sur-Seine révèle une complicité cachée entre le poète et l’artiste.

Le 20e siècle connaît un mouvement de rénovation de l’illustration : le marchand Vollard charge Bonnard d’illustrer Parallèlement de Verlaine en 1900, Kahnweiler commande 36 livres de peintres d’après des textes contemporains dont L’Enchanteur pourrissant d’Apollinaire par Derain (1909) et, en 1913, Sonia Delaunay travaille sur Prose du Transibérien et de la petite Jeanne de France de Cendrars. Dans les années trente, Vollard demande à Picasso d’illustrer le Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac et Histoire naturelle de Buffon, récemment exposé au Muséum d'histoire naturelle. Il semble que Matisse n'ait jamais été tenté par ce type d'exercice pictural. Seules ses deux illustrations pour les Les Jokeys camouflés, de Pierre Reverdy, en 1918, lui donne l’occasion de travailler sur un support écrit. Pourquoi donc Skira a-t-il choisi Matisse pour illustrer les Poésies de Mallarmé ? «Le contrat est signé en 1930, alors que l’artiste partait pour Tahiti. Le choix de l'éditeur s'est d'abord porté sur Les amours de Psyché de Jean de La Fontaine avant de conclure sur les Poésies de Mallarmé» explique Vincent Lescourt, un des commissaires de l’exposition. La présentation du musée Mallarmé met en regard l’ouvrage avec des dessins et autres documents prêtés par la Bibliothèque nationale, le musée national d’Art moderne, le musée d’Orsay ou encore le musée Matisse de Nice.



«J’ai obtenu ce résultat en modifiant mon arabesque de façon que l’attention du spectateur soit intéressée par la feuille blanche autant que par la promesse de lecture du texte.»(Matisse)

Si Matisse et Mallarmé ne se sont jamais rencontrés, l’artiste n’a pu passer outre les débats soulevés par les idées du «prince des poètes». Ami de Bonnard et de Félix Fénéon, tous deux sensibles à la poésie, le peintre semble pourtant porté peu d’intérêt au genre littéraire. Les paroles de Mallarmé sur l’illustration ne manquent pas d'intérêt : «Nommer les choses, c’est supprimer les trois quart de la jouissance d’un poème». N’y a-t-il pas pourtant une correspondance entre le langage elliptique du poète et le traitement de la ligne chez Matisse ? Alors même qu’il travaille sur la Danse à la fondation Merion, l’artiste nourrit sa recherche de la perfection formelle : «Mon dessin au trait est la traduction directe et la plus pure de mon émotion». C’est cette ligne décorative qu’il va utiliser pour mettre en images les vers de Mallarmé et traduire sa théorie selon laquelle il faut «peindre non la chose mais l’effet qu’elle produit».

«Le dessin remplit la page sans marge, ce qui éclaircit encore la feuille, car le dessin n’est pas, comme généralement, massé vers le centre, mais rayonne sur toute la feuille(…)» (Matisse). Ces 29 eaux-fortes de Matisse constituent un commencement pour l'artiste qui trouve ensuite son aboutissement dans Jazz, en 1942. Matisse y utilise une technique qui lui est chère et reprend des thèmes aussi variés que le portrait, la femme, le paysage, nymphes et faunes ou, plus original, le chapiteau ionique dans l’illustration de Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos. «C'est la première fois que l'artiste utilise les souvenirs de son voyage à Tahiti (de mars à mai 1930) dans Fenêtres ou encore dans Proses pour des Esseintes». Cette exposition illustre une parfaite adéquation entre les écrits d’un poète qui refusait toute illustration réductrice et un artiste qui n’a jamais voulu s’attacher à l’anecdote. Ne peut-on pas parler de dialogue entre le texte et l’illustration ?


 Stéphanie Magalhaes
22.04.2002