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Expositions

Vie et mort d’un artisan égyptien

À tous ceux qui se croyaient lassés des fastes pharaoniques, le Louvre fait découvrir les coulisses des réalisations du Nouvel Empire : la vie des artisans de Deir el-Médineh.


Double buste d'ancêtres, 19e et 20e
dynasties, 1295-1080 av. J.-C.,
calcaire, 15 cm, musée du Louvre
© RMN / F. Raux
Conçue comme une plongée au cœur de Deir el-Médineh, l'exposition «Les artistes de pharaon» s’ouvre sur de grandes photographies du site, une tente d’archéologue des années trente et du matériel de fouilles, comme le journal de Bernard Bruyère, ouvert à la page des notes prises lors de la découverte de la tombe inviolée de Sennefer. Vibrant hommage aux recherches menées par l’Institut français d’archéologie orientale dès 1917. Trois cent cinquante artefacts sont répartis en quatre grandes sections - vivre, créer, croire et mourir -, dans des tonalités «terre», de mise pour évoquer la vie quotidienne des artisans, puis dans une certaine obscurité qui sied mieux à rendre compte des cultes et des croyances funéraires. Mais si le cercueil momiforme de Dame Madja sur lequel veillent les déesses Isis et Nephtys ou la reconstitution grandeur nature du caveau peint de Sennedjem, un artisan actif sous Ramsès II, sont très impressionnants, l’exposition passionne surtout pour la vie quotidienne qu’elle révèle.

Le village de Deir el-Médineh a été fondé par Thoutmosis Ier autour de 1500 avant J.-C. Il traduit une profonde transformation dans le mode d’enterrement des pharaons : ils ne reposent plus sous une pyramide mais dans des caveaux creusés dans les vallons désertiques de la montagne thébaine. C’est entre la nécropole des rois et celle de leurs épouses qu’ont résidé pendant plus de quatre siècles les artisans qui travaillaient à creuser et décorer ces tombes. Le village comptait près de soixante habitations identiques, construites en briques crues à l’exception des encadrements de portes en pierre. Des familles entières y demeuraient, vivant au rythme du travail des hommes. Lors des jours de congé, des festins étaient organisés. Le pain et la bière étaient alors accompagnés de poissons, d’oignons, de dattes ou de figues de sycomore tandis que les femmes chantaient et dansaient au son du luth. Les habitants s’attiraient la bienveillance de leurs ancêtres, les akh iker («esprits excellents»), en déposant des offrandes devant leurs stèles ou leurs bustes épurés. Ils honoraient des divinités locales, comme Ahmès Nefertari et Aménophis Ier. Parfois même, ils déposait des oreilles modelées devant les statues de ces souverains divinisés afin d’en attirer l’attention. Quant aux enfants, ils jouaient avec des balles en cuir ou s’opposaient autour de damiers gravés dans le calcaire sur lequel ils faisaient avancer des pions à l’aide de dés…


Ostracon figuré satirique : souris
servie par un chat
, 19e et 20e
dynastie, 1295-1080 av. J.-C.,
calcaire, 9 cm, musée royal d'art
et d'histoire de Bruxelles
© Musées royaux d'art et d'histoire,
Bruxelles
C’est bien là le caractère fascinant de l’exposition : nous révéler un monde à la fois antique et proche, grâce à des objets simples, miraculeusement conservés par la sécheresse, à l’image d’une natte ou d’un large pinceau en fibres végétales. L’autre grande «révélation», c’est de nous faire pénétrer dans les coulisses des célèbres vestiges pharaoniques. Les outils les plus variés sont réunis pour rendre compte des différentes étapes de la création des tombes : bâtonnets d’ajustage utilisés par les carriers pour s’assurer que les parois sont parfaitement lisses ; ciseaux, percuteurs et poinçons employés par les sculpteurs pour dégager les figures dont les contours ont été dessinés par le Scribe de la tombe ; pinceaux, palettes et pigments choisis par les peintres pour donner vie aux reliefs… S’ajoutent à ces outils des documents révélant les conditions de travail. Un papyrus rédigé par le scribe Amennakht fait mention d’une grève survenue durant le règne de Ramsès III en guise de protestation des ouvriers qui ne recevaient plus leurs rations alimentaires. Un registre rend compte des motifs d’absence des membres d’une équipe, qu’ils soient souffrants, qu’ils doivent s’absenter pour cause de deuil ou qu’ils aient pris part à une beuverie… Viennent enfin les ostraca, ces fragments de calcaire sur lesquels les artistes dessinaient pour leur seul plaisir. On y retrouve les motifs du répertoire classique comme le Ramsès III vainqueur saisissant une grappe d’ennemis à genoux qui orne les pylônes du Nouvel Empire. Mais ils livrent aussi d’autres sujets, plus libres, comme ces satires reprenant les compositions officielles en remplaçant les figures humaines par des animaux. Toutes les audaces étaient permises pour ces petites esquisses qui n’étaient pas destinées à être conservées.


 Zoé Blumenfeld
19.04.2002