Gourdon perd ses naïfsLe futur musée des arts décoratifs et de la modernité de Gourdon ne saurait s’encombrer d’une collection de peintures naïves. Les 200 toiles réunies par Laurent Négro sont aujourd’hui dispersées par Tajan.
| Camille Bombois, Salut l'artiste,
huile sur toile, 64 x 46 cm
Estimation : 30 / 33 000 €
© ADAGP |
Le château de Gourdon s’élève au-dessus des gorges du Loup, au nord de Grasse. Son noyau du 9e siècle a été transformé en véritable place forte par les comtes de Provence qui cherchaient à se défendre des attaques des comtes de Vintimille. Aujourd’hui, il est pourtant plus connu pour son parc en terrasses, en partie dessiné par André Le Nôtre, et pour sa silhouette influencée par les aménagements menés par Henri IV à Paris, sur la Place Royale, la future place des Vosges. Ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où le propriétaire qui succéda aux comtes de Provence, Louis de Lombard, reçut l’appui du bon roi pour ces travaux de transformation. En 1971, le château-musée de Gourdon a ouvert ses portes aux visiteurs. Et ils sont aujourd’hui 25 000 à venir chaque année, attirés par le monument inscrit depuis 1972 à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et par ses collections privées disparates : armes anciennes, tableaux des 16e et 17e siècles et peintures naïves.
Comme nous l’a expliqué Marie Rousse, l’assistante du conservateur, des changements sont actuellement en cours dans ce château-musée. «À la mort du propriétaire, survenue fin 1996, l’actuel conservateur, Laurent Négro, a décidé de donner une nouvelle orientation aux activités culturelles du château de Gourdon. Passionné par les arts décoratifs des années 1920-1930, il prépare l’inauguration d’un «musée des Arts décoratifs et de la modernité» mettant l’accent sur les créations originales de l’Union des Artistes Modernes. Ce nouveau musée, qui devrait ouvrir ses portes dans le courant de l’été 2002, si les travaux d’aménagement intérieur s’achèvent dans les délais convenus, occupera non seulement le premier mais aussi le second étage du château. Dans ces conditions, il n’était plus possible, pour des motifs relevant de pures contraintes physiques aussi bien que de choix artistiques, de conserver la collection de peintures naïves».
| Douanier Rousseau, Portrait
de Frumence Biche en civil,
huile sur toile, 46 x 36 cm
Estimation : 70 / 75 000 € |
C’est ainsi que les 201 peintures naïves réunies par l’ancien conservateur se trouvent aujourd’hui mises en vente par Tajan. Le père de l'actuel conservateur, un homme d’origine paysanne et piémontaise avait bâti sa fortune en créant le Bureau International du Secrétariat (BIS) en 1954, une entreprise pionnière dans le travail temporaire. Mais il était surtout fasciné par les «peintres du dimanche» ou «artistes de la semaine aux 7 dimanches» auquel il avait décidé de consacrer un musée pour «faire connaître à d’autres la qualité et la richesse du cœur de ces femmes et de ces hommes qui savent exprimer leurs sentiments, leur vision des choses autrement que dans une forme académique». Constitué entre 1967 et 1985, entre l’acquisition de La Corrida de Dominique Lagru (300 €) et celle du Salut de l’artiste de Camille Bombois (30 000 €), ce fonds provient en majeure partie de l’ancienne collection de Jules Lefranc (1887-1972). Fils d’un propriétaire d’une maison de quincaillerie venu à la peinture sur les conseils de Monet, Jules Lefranc avait déjà donné de nombreuses œuvres à la ville de Laval, fondant ainsi le musée d’Art naïf du Vieux-Château, lorsqu’il rencontra Laurent Négro. Ce dernier lui acheta sa collection lors d’une transaction en viager opérée un an avant la mort du peintre, en 1971. Elle comprenait alors 57 toiles de Jules Lefranc ainsi que 66 autres signées Rimbert, O’Brady, Arcambot, Belle ou Schnubel.
Parmi les peintures dont les estimations s’échelonnent entre 100 € et 70 000 €, figure une toile du principal représentant de l’art naïf, Henri Rousseau. Il s’agit du Portrait de Frumence Biche en civil, un cultivateur qui fit carrière dans l’armée et épousa Marie Foucher, longtemps courtisée sans succès par Rousseau. Ce portrait, sans doute offert par le Douanier aux deux amoureux à l’occasion de leurs fiançailles, fut perdu puis volé en 1969 par le gangster Barone avant d’entrer dans les collections du musée-château de Gourdon en mars 1973. Il pourrait aujourd’hui atteindre 75 000 €.
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