Bik Van der Pol : pour un art relationnel

Situé à l’extrême nord de la France, à Dunkerque, le FRAC Nord-Pas-de-Calais s’attache depuis quelques années à rendre compte de la jeune création émergeant en Europe septentrionale. Après l'allemand Tobias Rehberger et la suédoise Miriam Backström, l’invitation a été lancée aux Hollandais, Liesbeth Bik et Jos Van der Pol. Leur intervention se matérialisera en deux temps, dans l’espace du FRAC et hors les murs, au centre d’art TENT de Rotterdam - les artistes se feront alors commissaires et présenteront une exposition faite à partir d’œuvres du FRAC. Quatre installations récentes sont réunies au FRAC. Recouvertes d’un film teinté de l'«International Klein Bleu», les fenêtres d’entrée de l’édifice diffusent une lumière bleutée, accompagnant l’installation-hommage à Yves Klein. Birds Must Be Eliminated / Birdshot se compose d’une chaise sur laquelle est posé un fusil, et d’un texte de Klein, le tout baignant dans cette atmosphère lumineuse référentielle. Extrait du manifeste écrit en 1961 au Chelsea Hotel, le texte relate une expérience vécue par l’artiste, qui, observant un ciel parfait identifié à sa propre création picturale (incarnée par le monochrome bleu), voit sa contemplation perturbée par un vol d’oiseaux. L’installation de Bik Van der Pol met en scène ce récit, invitant le spectateur à se mettre en lieu et place de l’artiste. La réappropriation de Klein par Bik Van der Pol n’est également pas sans pertinence, au regard du travail effectué par le duo sur le moment de l’exposition, rappelant la réflexion pionnière menée par l’artiste français sur cette question.

Interrogeant l’acception traditionnelle de l’exposition et le rôle habituellement assigné au spectateur, le duo s’inscrit dans ce qu’il est d’usage aujourd’hui d’appeler, à la suite de Nicolas Bourriaud, l’art «relationnel». Sous cette expression, sont rassemblées des tendances contemporaines qui prennent pour thème central la rencontre, effective, entre le spectateur et l’œuvre. Celle-ci se fait et prend sens par la collaboration du spectateur et apparaît donc indissociable du moment de sa mise en visibilité. L’objet fini n’a plus droit de citer ici, l’œuvre, chaque fois réactivée, voit sa forme renouvelée à chaque exposition. L’installation Capsule Hotel superpose deux rangées de trois cellules d’habitation, empruntées à la mode japonaise des hôtels capsules. Le visiteur est invité à se reposer dans ces couchages minimalistes, à visionner Sleep de Warhol ou à consulter des livres disposés dans une bibliothèque et choisis par les artistes, tels que «Situationist City», «Archigram» ou «Star Trek», autant de fictions utopistes. Sleep, film culte de l’histoire de l’art passé à la postérité par la reproduction d’une seule et même image, est proposé ici dans sa totalité (près de six heures) dans un souci de restituer l’expérience originelle de l’œuvre. Le lieu de l’exposition se meut en espace de loisirs, de détente et nous incite à prendre le temps de la réflexion, à marquer une pause. Proposition for Reclaiming a Space, datée de 1997, est un hommage au galeriste de Düsseldorf, Konrad Fischer, initiateur à la fin des années soixante d’un nouveau genre de muséographie, prenant en compte dans son élaboration le lieu et le temps de l’exposition, accordant la primeur à son concept plutôt qu’à sa réalisation matérielle. La présente exposition a également été l’occasion d’une production. Cité modèle est une œuvre investissant un monument du patrimoine dunkerquois, le quartier BP, appelé «La Cité des ingénieurs», construction utopiste, héritière d’idéaux paternalistes du 19e siècle. Erigé dans les années trente, à proximité immédiate des usines BP, ce quartier abandonné vers 1995, apparaît tel une ville fantôme, conservant toutes les apparences d’une cité habitée. Bik Van der Pol reconstitue au FRAC une maquette du site, offrant cet espace, désormais désinvesti de sa fonction initiale, à la réflexion du public et interroge. Quel devenir proposez-vous pour celui-ci ? Là encore, le spectateur est interpellé, il est l’intermédiaire sans lequel l’œuvre n’est pas, sans lequel le sens ne peut émerger. L’ère du prêt-à-consommer est révolue.