Spoerri, rétrospective à croquerAu Jeu de Paume, retour sur l'aventure d'un maître du «Eat-Art», qui se dit «artiste gastrosophe».
| Arman, Les bonbons,
assemblage, 1970
© Galeries du Jeu de Paume |
Le second étage de l'exposition est de peu d'intérêt, puisqu'il est réservé aux restes des dîners organisés par l'artiste au Jeu de Paume, durant la semaine qui a précédé le vernissage de l'exposition. Au premier niveau, par contre, l'étonnante histoire de Daniel Spoerri est contée, notamment à travers les curieux tableaux-pièges qu'il réalise, depuis presque un demi siècle. «Des objets trouvés au hasard», explique-t-il, «en ordre ou en désordre, sont fixés tel quel. Seul le plan est changé : dès lors que le résultat est appelé tableau, ce qui était à l'horizontale est mis à la verticale». On peut ainsi découvrir, sous des globes de plexiglas préservant la fragilité des éléments mis en scène, les restes d'un repas pris par Marcel Duchamp en 1964, ou ceux d'un dîner pris entre amis à la Galerie J (Paris), en 1963. À l'époque, Spoerri réunissait tout au plus une dizaine de convives, puis les piégeait à leur insu. «Ne prenez pas les tableaux-pièges pour des œuvres d'art», écrivait-il alors. «C'est une information, une provocation, une indication pour l'œil de regarder des choses qu'il n'a pas l'habitude regarder. Rien d'autre».
| Spoerri, Le repas des
prisonniers, 1963
© Galeries du Jeu de Paume |
«L'art, qu'est-ce que c'est ? C'est peut-être une manière et une possibilité de vivre». Pour Spoerri, cela a d'abord consisté, dans sa Suisse natale, à danser à l'Opéra de Berne. Régisseur de théâtre en Allemagne ensuite, où il a monté des spectacles de Ionesco et de Picasso, il s'est ensuite fait connaître, à Paris, en réalisant des multiples des œuvres de ses amis. Puis sont venus les tableaux-pièges et, avec eux, l'adhésion, en 1960, au groupe des Nouveaux Réalistes. Depuis, c'est autour du repas, de sa préparation et de ses restes, que tourne le monde de Spoerri, tour à tour patron de restaurant à Düsseldorf, rédacteur de livres culinaires en Grêce et organisateur d'expositions plus ou moins comestibles. En 1961, il baptise «œuvre d'art» tous les aliments en conserve sur lesquels il appose sa signature, son tampon. En 1963, sa collection d'épices, présentée au Jeu de Paume, entre au Moderna Museet de Stockholm. Chacun des événements qu'il mitonne est rempli de surprises, comme ces pains qu'il distribue, en guise de catalogue, et dont la pâte est mêlée de clous, d'éclats de verre et d'ordures en tous genres. Vous l'avez compris : l'exposition actuelle présente moins des chefs-d'œuvres époustouflants que les jalons d'une aventure fondamentalement poétique.
| Françoise Monnin 30.05.2002 |
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