Salvator Dali, Le téléphone homard, 1936
| | Surréalisme et vieilles dentellesLondres examine d'un œil critique la production artistique de l'écurie André Breton. Simon Wilson, l'un des commissaires de l'exposition nous éclaire sur les thématiques.
La Tate Modern a choisi d’organiser cette grande exposition sur le surréalisme autour du thème du désir. Environ 450 pièces sont rassemblées, comprenant des œuvres emblématiques du mouvement : L.H.O.O.Q. de Marcel Duchamp, Jeu Lugubre de Salvador Dali, Œdipus Rex de Marx Ernst, Objet désagréable d’Alberto Giacometti ou Le Viol de René Magritte. On peut admirer également des artistes moins connus, manuscrits et dessins d’Aragon, de nombreux écrits d’André Breton dont Nadja, des photographies de Man Ray, Brassai, des sculptures de Louise Bourgeois, mais aussi des projections : Un chien andalou de Luis Buñuel (1928).
L’œuvre surréaliste est très abondante, sur quels critères avez-vous fait vos choix ?
Simon Wilson. Nous avons fait une sélection en relation avec le thème du désir, bien entendu. A l’intérieur de ce sujet, nous avons organisé 12 thématiques. Nous avons cherché des œuvres majeures des artistes les plus célèbres comme Magritte ou Giacometti. Mais nous avons aussi inclus des œuvres d’artistes moins connus, en particulier des femmes comme Claude Cahun, Leonora Carrington, Maria ou Dorothea Tanning.
Quelle muséographie avez-vous mise en place, par dates, par artistes ?
Simon Wilson. L’exposition commence avec une œuvre de Marcel Duchamp, de 1914 : La mariée mise à nu par ses célibataires, même, qui est une œuvre dada, donc avant la naissance du surréalisme. Cette première salle est consacrée à cet artiste et démontre que le thème du désir était présent dans l’art avant le surréalisme. L’exposition retrace le mouvement jusqu’à l'après-guerre. Une autre salle examine l’exposition Eros qui s’est tenue en 1959, une des dernières grandes expositions du mouvement. Enfin la dernière salle comprend des œuvres des années 60 de Louise Bourgeois et de Dorothea Tanning. Par exemple : Canapé des jours de pluie, qui est, en quelque sorte, un canapé qui se fait l’amour à lui-même. Et nous retrouvons des œuvres de Marcel Duchamp de la fin de sa carrière. On peut dire que Duchamp était un compagnon de voyage des surréalistes. Les œuvres sont ainsi présentées dans un ordre chronologique et la boucle est bouclée puisque Breton est mort en 1966.
Depuis l’avènement du surréalisme, le désir, la sexualité semblent être des thèmes centraux dans l’art ? Comment expliquez-vous cette influence ?
Simon Wilson. C’est un fait ! Le surréalisme a eu une influence considérable dans de nombreux domaines : le théâtre, le cinéma et aussi la publicité, mais aussi dans les relations sociales, avec la libération de la sexualité, avec les événements de 68. Le surréalisme a attiré l’attention d’un plus large public sur l’érotisme. Les surréalistes ont également popularisé les idées de Freud. Les écrits de ce dernier ont joué un rôle central dans le mouvement. En particulier dans l’œuvre de Max Ernst, qui était allemand et qui par conséquent pouvait lire L’interprétation des rêves dans le texte. En partie grâce à Freud et aux surréalistes, tout au long du 20e siècle, s’est développée, une prise de conscience du désir, de l’érotisme et de la sexualité, une volonté de libérer les gens, de les rendre heureux.
Le Portugal vient de faire le point sur le surréalisme portugais, est-ce qu’il y a un surréalisme anglais ?
Simon Wilson. Il y a bien un surréalisme anglais. Edward James, par exemple, qui était un ami de Dali et de Magritte, a produit une centaine d’œuvres dans les années 30. Roland Penrose fut un artiste, mais aussi un grand collectionneur. Un groupe surréaliste s’est formé en Angleterre avec des artistes comme Leonora Carrington et Eileen Agar. Par ailleurs, il y a eu un très grand intérêt pour le surréalisme en Angleterre, c’est pour cela que la Tate possède une riche collection de cet art.
Avez-vous découvert des artistes surréalistes ?
Simon Wilson. Il y a une école surréaliste tchécoslovaque, fondée en 1934 à Prague. Jindrich Styrsky, dont nous présentons quelques œuvres, en était le chef de file. Nous incluons dans l’exposition des femmes surréalistes peu connues comme Mimi Parent ou Meret Oppenheim. Il n’y a pas eu de grandes expositions sur le surréalisme à Londres depuis 1978, c’est peut-être pour cela que ces artistes féminines ne sont pas célèbres.
Combien de temps a été nécessaire pour construire cette exposition ?
Simon Wilson. Pour construire une exposition de cette envergure il faut compter en général 4 à 5 ans. La difficulté de Surrealism : Desire Unbound, c’est que de nombreuses œuvres appartiennent à des collections privées. Il est donc bien plus difficile de les retrouver. Mais ce qui est aussi très spécifique à cette exposition c’est cette installation par l’architecte Richard MacCormac et son associée Jocasta Innes. Ensemble, ils ont créé une véritable mise en scène de l’exposition avec des lumières et des murs colorées. Chaque œuvre est éclairée individuellement. L’ensemble est très spectaculaire. On peut dire que c’est une expérience surréaliste.
| Laure Desthieux 24.09.2001 |
|