Conserver les oeuvres périssablesLe projet du musée Guggenheim lance une nouvelle polémique sur la préservation de l'art contemporain.
MONTREAL, 30 mai (AFP) - Enchevêtrement de néons, mur de télévisions, créations algorithmiques sur l'Internet: les oeuvres d'art du nouveau millénaire ne sont pas aussi faciles à conserver que les tableaux ou sculptures d'antan, mais une équipe d'experts américains et canadiens s'apprêtent à relever le défi. Le musée Guggenheim de New York et la fondation du mécène montréalais Daniel Langlois se sont associés pour mettre au point un système de préservation de toutes ces oeuvres, que les progrès technologiques menacent un jour ou l'autre d'engloutir à jamais en les rendant obsolètes. Ces deux institutions, expertes en technologies de l'information, ont lancé ensemble "un réseau des médias variables", entièrement dédié "à la conception et à la mise en commun de moyens de conservation des oeuvres d'art utilisant des nouveaux médias". Le but: établir une solide méthodologie, qui pourra servir à tous les acteurs du champ artistique. Depuis l'apparition de l'art conceptuel dans les années 60, "l'objet conservé dans les musées se transforme et donc les méthodes pour le préserver doivent s'adapter", explique Alain Decopas, responsable du projet à la Fondation Daniel Langlois pour l'art, la science et la technologie. Encore faut-il s'assurer que les moyens de préservation ne nuisent pas à la volonté originelle de l'artiste. Contrairement aux peintures et sculptures pour lesquelles il existe des méthodes de restauration, les oeuvres qui ne sont pas, par définition, immuables comme les arts classiques se perdent dans le plus grand flou.
Le musée Guggenheim a mesuré récemment toute la hardiesse de la tâche. La célèbre galerie new-yorkaise voulait exposer une oeuvre conceptuelle de l'artiste américain Dan Flavin, composée de tubes lumineux d'un rouge très particulier. Mais l'un des néons était défectueux, et aucun autre totalement identique n'a pu être trouvé. L'artiste, aujourd'hui disparu, "aurait-il accepté que le rouge ne soit pas exactement le même ?", interroge M. Decopas. "Si on avait pu faire une entrevue avec lui, on le saurait", fait-il remarquer. La première étape de leur méthodologie est donc de demander à l'artiste, lui-même, de définir les critères intrinsèques de sa création par le biais d'un questionnaire, élaboré par Jon Ippolito, conservateur des arts médiatiques au Guggenheim. D'entrée de jeu, le créateur se voit demander si "dans sa version initiale, l'oeuvre doit être installée, performée, reproduite, dupliquée, encodée ou en réseau". Selon ses choix, il navigue parmi une multitude de paramètres, en déterminant par exemple si la lumière, est un élément "un peu, beaucoup, modérément, ou pas du tout" important. "Il y a moyen de faire expliquer à l'artiste ce qui est immuable dans son oeuvre et ce qui est plus variable", affirme M. Decopas. Selon lui, "peu à peu une stratégie de conservation se dessine qu'il peut valider ou pas". A partir de là, les deux partenaires espèrent créer dès l'automne une première banque de données, consultable sur le net, et mettre au point une publication de référence, en espérant qu'ensuite d'autres acteurs du milieu de l'art y apporteront leur touche. Déjà quelques musées d'art contemporain nord-américains auraient manifesté leur intérêt pour l'entreprise. Mais au-delà de l'intention de conservation, le projet suscite une foule d'interrogations, notamment d'ordre technique. Pour préserver l'accès à une oeuvre qui repose sur un programme d'ordinateur, faudra-t-il conserver une machine de son époque alors que les progrès informatiques la rendront très vite anachronique ? "Notre but n'est pas de vouloir tout sauver", assure M. Decopas. Mais selon lui, avec une solide méthodologie, qui permettrait d'allonger leur durée de vie, les musées pourraient être moins réticents à acquérir à prix d'or des oeuvres d'art à caractère technologique.
Par Stéphanie PERTUISET
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