Kupka, un pinceau dans l'acideDans le cadre de la saison tchèque, le musée d'Orsay consacre une rétrospective à l’œuvre graphique de l'artiste, qui a longtemps travaillé en France.
| Prométhée bleu et rouge, 1909-
1910. Aquarelle sur papier,
32,1 x 29,3 cm
Prague, Národní Galerie
© ADAGP, Paris, 2002 |
Après avoir passé quatre ans aux Beaux-Arts de Prague entre 1888 et 1892, Frantisek Kupka décide de poursuivre ses études à Vienne. En dépit de grandes difficultés matérielles, il parvient à fréquenter la classe spéciale de peinture d'histoire et à exposer au Kunstweirein (les Mille et une Nuits, Vers les hauteurs éthérées). Après un voyage en Scandinavie, il s'installe à Paris en 1894. Aux Beaux-Arts, il fait la connaissance d'Alphonse Mucha, qui lui apportera son aide. Sa compagne, Maria Bruhn, qui est styliste, lui obtient des commandes de dessins de mode. En 1899, il habite boulevard Rochechouart, fréquente la Goulue et les chansonniers de Montmartre. L'année suivante, il expose au pavillon austro-hongrois de l'Exposition universelle où il obtient une médaille d'argent. Il commence à collaborer en 1901 à la revue satirique L'Assiette au beurre. Il poursuit parallèlement son œuvre picturale et son travail de dessinateur de presse (il est maintenant engagé par «La Vie illustrée»). Le succès arrive : il expose à Prague et à Vienne et sa première biographie, écrite par Machar, paraît en 1905.
| Balançoires que tout ça, 1901
(dessin pour le n° spécial de
L'Assiette au Beurre "L'Argent",
1902). Encre de chine à la
plume et au pinceau, aquarelle
et crayon noir sur papier,
45 x 39 cm. Paris, musée
d'Orsay
© ADAGP, Paris, 2002 |
Une vocation satirique
Fidèle au symbolisme, Kupka se crée un univers fantastique et déconcertant. Pour les revues, il ne change pas nécessairement de registre iconographique, mais il trempe sa plume ou son pinceau dans l'acide. Les pointes sèches et les lithographies qu'il exécute pour «L'Assiette au beurre» révèlent un engagement politique véhément et un style agressif. L'aspect le moins bien connu de l'immense travail accompli au début de sa période parisienne - et c'est l'aspect le plus passionnant de cette exposition - est l'illustration de livres. En 1904, il se lance dans l'aventure : il réalise de nombreux dessins pour l'édition en six volumes de l'encyclopédique L'Homme et la terre d'Elisée Reclus. Il grave pour une édition du Cantique des cantiques (1905), il prépare des calques pour Les Erinnyes (1907-1908), il exécute huit bois et eaux-fortes pour La Ballade d'un homme et de ses joies d'Antonín Sova, il utilise le fusain et la craie pour le Prométhée enchaîné (1909-1910).
Un pionnier de l’art abstrait
Ces années qui aboutissent, vers 1910, à le seconde phase de son oeuvre - qui se tourne alors vers le cubisme puis vers l'abstraction - méritent d'être redécouverte, car elles mettent en relief un talent protéiforme et toujours maîtrisé, en dépit de commandes de natures multiples et de techniques sans cesse changeantes. Kupka est un des grands artistes de cette phase charnière de l'art moderne qu'on appelle à tort ou à raison symbolisme, faute de pouvoir mieux la cerner. Dommage, cependant, que Kupka ne se voie réserver que trois petites salles à Orsay. Dommage que le contexte de ses premiers pas dans le milieu artistique et journalistique ne soit pas plus explicité. Dommage enfin que, dans la perspective de la saison tchèque à Paris, on n’ait pas donné plus d’importance à cette période clé de son oeuvre. Cette manifestation est bien faite pour initier le néophyte mais le catalogue est trop savant (et un peu confus) pour lui servir de guide.
| Gérard-Georges Lemaire 06.07.2002 |
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