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Expositions

L’inquiétante étrangeté de Freud

La Tate Britain organise une rétrospective de Lucian Freud, petit-fils de Sigmund, qui peint, depuis l’après-guerre, un univers inquisiteur, voyeur et réaliste où l’homme est seul et singulier.


Girl with a white dog, 1950-51
William Feaver, le commissaire de l’exposition, a voulu célébrer l’aboutissement de la carrière de l’artiste, sa réinvention constante de l’art du portrait et du nu et son engagement dans la peinture : « Évidemment, mon objectif a été de choisir les œuvres les plus représentatives de Freud et cela n’a pas été sans mal, car il a montré, à plusieurs reprises, que son travail était autobiographique. » Il en ressort un ensemble chargé émotionnellement : de ses débuts que l’on pourrait qualifier d’« ingresques » (Village boys, 1942, ou Girl with roses, 1948) à sa période de maturité (depuis les années 1980 jusqu’à ce jour, avec Freddy debout, 2001).

La chair à nu
Les compositions de Freud interrogent l'espace et ne cessent d'expérimenter la présence de la figure humaine. Il peint des personnages, aux traits anguleux, exécutés avec un réalisme stricte et rigide (Intérieur à Paddington, 1951, Fille avec un chien blanc, 1950-1951). De cette précision obsessionnelle - que l'on retrouve dans ses nus - d’êtres vulnérables et solitaires, sans mise en scène, sans pathos, se dégage une inquiétude troublante. La fascination de la chair se fait plus poignante, désarmante. L’exhortation des corps s'accentue dès 1950-1960, au moment où sa technique évolue. La chair devient plus sensible sous les accidents de la matière (Femme souriant, 1958-1959, Femme enceinte, 1960-1961, Tête sur un sofa vert, 1960-1961). Ce traitement en épaisseur dialogue avec des aplats de couleurs plus fluides, témoignage de l'influence de son ami Francis Bacon.

Si loin, si proche
Lucian Freud peint sans complaisance mais avec beaucoup d'humanité des corps nus qui font réfléchir sur la réalité temporelle et éphémère de l'homme. Pour cela, ses modèles sont ses proches : amis, famille, maîtresses… dans une intimité déconcertante. Une proximité qui pourrait paraître indécente, en une mise en abîme constante, vertigineuse (Reflection with two children, 1965, Flou peu artistique, 1966, Corps nu dormant, 1968, La Mère du peintre se reposant, 1976...). « Sa peinture ne choquerait pas si souvent ceux qui la découvrent, si son réalisme ne mettait en jeu qu’une simple figuration du réel », a écrit le critique d’art Jean Clair. Pour La Mère du peintre (1982-1984), aucun artifice n’adoucit cette image d'une vieille femme qui attend la mort. Son regard est déjà absent, son vêtement un linceul… La justesse de ce drame silencieux parviendrait-il à accentuer l'indécence à vouloir ainsi dévoiler le réel ? Non, Freud peint ce qu’il voit, non la mort elle-même mais sa menace et son appréhension qui jette une ombre permanente sur la réalité, sa réalité, la nôtre...


 Muriel Carbonnet
20.06.2002