Douce FranceAu début des années cinquante, le photographe Paul Strand découvre, en compagnie de Claude Roy, un monde rural qui a conservé son rythme de vie immémorial.
Nous avons encore en mémoire ce regard volontaire d’adolescent en salopette, la mèche rebelle, l’œil noir, appuyé sur les ferrures d’un portail en bois. Un portrait devenu icône, donc universel : palefrenier anglais, mécanicien allemand, débardeur italien ? Non, un jeune paysan français des Charentes, saisi en 1951 par le grand Paul Strand, qui venait de s’installer en France, où il finirait ses jours en 1976. Il y a quelques années, Michel Boujut, dans un livre délicieux, Le jeune homme en colère (Arléa), était parti à la recherche du jeune révolté, qu’il avait retrouvé chauffeur de taxi en banlieue parisienne… Chacune des images de Strand est ainsi, comme une bobine, qui dévide une histoire si on veut la faire parler : ce charpentier de Jarnac, tenant haut et fort son ciseau, cette affiche déchirée du cirque Pinder, sur un mur lépreux, ces gosses sur un trottoir en pente, devant la teinturerie « Aux Dames de France »…
Mon beau village…
En compagnie de Claude Roy, qui devait écrire les textes du livre, Strand avait passé de longs moments près de Cognac. Mais, pour les besoins de l’ouvrage, il avait aussi parcouru tout l’Hexagone, à la recherche d’une société rurale que l’on devinait en sursis, entre ses pâturages et son clocher. Pas de véhicule à moteur, excepté une mobylette garée, à Pont-Saint-Esprit, devant les cartels publicitaires d’un quotidien marseillais. Un exercice qu’il devait répéter, de façon encore plus magistrale quelques années plus tard, en prenant pour objet d’étude, à la manière des historiens des Annales, un microcosme : le village italien de Luzzara, en Émilie, patrie du scénariste Cesare Zavattini. Cela devait donner Un paese, un classique de la photographie du XXe siècle.
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