Mort de l'art : la France en procèsLa critique n'est pas suave, le constat est précis et désabusé. Dans L'Art impossible, Philippe Dagen tire le portrait d'une nation qui se soucie peu de l'art… et aime les musées.
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C'est en réalité toute la civilisation occidentale qui tombe sous les coups de la plume acérée de Philippe Dagen, écrivain et critique d'art au Monde. À l’heure de la consommation de masse, il n’est plus question d’art, mais de loisirs. Le bilan est le suivant : la création artistique française est dans l'impasse. À qui la faute ? Selon l'auteur, la rupture se situe dans l'immédiat après-guerre, quand les artistes, loin de la démarche surréaliste, cessent d'interroger le monde qui les entoure. Dans son approche créative, l'artiste omet de soulever des questions fondamentales, le génocide juif notamment - symbole pourtant du désastre du XXe siècle. L'art ne veut plus changer le monde, il est devenu théorique, anesthésié. En se désintéressant de la vie, il a annulé ses chances de capter l'attention du grand public. Cette mort de l’art est aussi le fait de l'État, qui édifie des musées monumentaux (le Louvre, Orsay…), dans lesquels sont empilées les œuvres, moins pour qu’elles soient vues que dans une pure logique de conservation qui relève du culte du passé : il s'agit de «protéger ce qui a été [plutôt] que de défendre ce qui est, à plus forte raison ce qui pourrait être.» Fautifs aussi sont les collectionneurs qui ont perdu le goût d'acheter des œuvres d'art. C’est pourtant d’eux également que dépend la survie des artistes.
Ne pas désespérer ?
Dans la dernière partie de l'essai, l'auteur dresse son panthéon personnel des artistes contemporains qui n’ont pas baissé les bras : Raymond Depardon et Gérard Rondeau pour la photographie, Philippe Cognée, Jean-Michel Alberola, Vincent Corpet, etc., en matière de peinture. Croit-il réellement qu'ils se feront entendre, convainc-t-il son lecteur ? L'ouvrage est dense et pertinent, mais singulièrement redondant : le propos essentiellement négatif finit par lasser. Pour Dagen, le monde continue de courir à sa perte. Sans fin. «Au temps d'Homère, l'humanité s'offrait en spectacle aux dieux de l'Olympe ; c'est à elle-même aujourd'hui qu'elle s'offre en spectacle. Elle s'est suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre.» Cette citation de Walter Benjamin, retenue par l’essayiste en début d'ouvrage, semble donner sa tonalité au livre tout entier.
Philippe Dagen, L'Art impossible, éd. Grasset, 2002, 20,5 x 13 cm, 245 p., ISBN : 2-246-61591-7, 18,50 €.
| Nathalie Chevalier 31.08.2002 |
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