Sols en stock

Tout habitués que nous sommes à nos fades moquettes et linos, nous avons oublié combien la composition d’un sol pouvait être un exercice de virtuosité. La splendeur des sols français en fait le tour d’une façon exhaustive, de la pierre au bois, de la céramique aux carreaux de ciment compressé. L’iconographie, habilement choisie, mêle photographies, recueils d’ornements, catalogues de fabricants ou gravures anciennes, qui dévoilent le fonctionnement des roues de carriers et des scies sans dents (pour la taille du marbre). Si nos ancêtres ont vécu pendant des siècles sur la terre battue, avant de connaître le luxe relatif du carrelage de terre cuite, vers 1860, les gens d’église et les princes ont eu le bon sens de s’octroyer des pavements somptueux, dont certains ont traversé le temps. Des dessins en galets de l’Allier aux dalles gravées de Saint-Omer, des parquets en marqueterie de Maisons-Laffite aux carreaux en ciment compressé des manufactures d’Auneuil, le voyage s’étend sur un millénaire. Il révèle un paysage chatoyant, métissé, où se télescopent les influences de la mosaïque romaine, des faïenciers arabes et de la Révolution industrielle. Pavements de Venise fournit un panorama comparable, bien que moins fouillé. Il se lit comme un beau livre d’images, avec des descriptions précises où s’entrechoquent des matières à rêver : marbres d’Iseo, de Kotor, de Vérone, de Trani, bardiglio bleu-noir ou pierre blanche d’Istrie. Des «impératifs marketing» ont probablement imposé une couverture où le nom de l’auteur est absent, supplanté par celui de Dominique Fernandez, qui s’est attelé à une tâche herculéenne : une préface d’une page. Dommage car le travail de Tuddy Sammartini, qui n’égale pas en somptuosité le célèbre Sols d’André Bruyère (Imprimerie nationale), n’oublie aucun des classiques : y figurent les motifs géométriques de Torcello, le truculent bestiaire de Saint-Marc, la grande variété du pavement à la vénitienne (poussière de marbre noyée dans la chaux et poncée), jusqu’aux créations contemporaines de Carlo Scarpa.