Tu feras une image...Représenter le Christ : l’idée est audacieuse. Tel est le défi que tente de relever la photographie depuis ses débuts.
| Oscar Rejlander, Tête de Saint-Jean
Baptiste, circa 1858. Coll. George
Eastman House, Rochester |
PARIS. Si la peinture a formulé nombre de propositions, on découvre que la photographie offre à son tour des images sur ce thème, mais avec d'autres ambitions et d'autres moyens. L'exposition «Corpus Christi» mélange, sans hiérarchie, réalité et fiction, en d'autres termes, reportage et mise en scène. C'est là l'un de ses mérites, même si ce parti pris, perceptible jusque dans la mise en espace, peut déranger le visiteur. Il y a donc des photographes qui, sciemment ou non, ont saisi ou reconstitué des situations christiques. Plus exactement, qui ont façonné des images sur le modèle de quelques-unes des plus célèbres représentations du Christ. W. Eugene Smith, lorsqu'il photographie à Minamata une mère prenant dans ses bras son enfant terriblement déformé, nous renvoie à la pietà. Des scènes comme celles-là, on en retrouvera maintes et maintes fois dans les reportages qui montrent les victimes anonymes de la guerre. On pourrait citer encore le soldat blessé et allongé dans la boue que photographie Larry Burrows au Vietnam. Ou le manifestant baignant dans son sang photographié par Manuel Alvarez Bravo en 1942. Le texte qui accompagne l'exposition suggère que ces photographes «se réfèrent à l'image religieuse pour faire passer d'incisifs messages». Mais c'est aussi la culture du spectateur de l'image qui engage l'interprétation religieuse. Et lorsque l'image en question est introduite dans le contexte d'une telle exposition, il semble alors que le doute ne soit plus permis.
| Les Krims. L'effet électro-statique
de Minnie la Souris sur les ballons
Mickey, 1968. © Les Krims |
La Cène, inévitable
À l'Hôtel de Sully, ce qui domine, c'est de toute évidence la mise en scène organisée comme réplique, citation, voire parodie des grandes thèmes religieux de l'histoire de la peinture. Et notamment celui de la Cène, le dernier repas que le Christ prend avec ses apôtres. Plusieurs artistes contemporains usant de la couleur, du grand format et du polyptyque n'ont pas résisté à l'envie de proposer leurs versions. Celles-ci dominent l'espace de la salle principale de l'exposition, en particulier celles d'Andres Serrano, Rauf Mamedof et Adi Nes. Mais les mises en scène, fictions ou montages ne sont pas seulement le fait de nos contemporains. L'exposition est là pour en témoigner. Nombreux sont aussi les photographes du XIXe siècle qui ont repris à leur compte des scènes à caractère religieux. On s'évade d'ailleurs à plusieurs reprises du thème proprement dit de l'image du Christ. De même, la représentation de figures ou symboles religieux croise l'engagement politique (voir une étonnante photographie de Paul Strand sur le nazisme) et intellectuel (la position des surréalistes à l'égard de la religion est ici condensée dans une audacieuse photographie de Man Ray). Le parcours offre ainsi des surprises, des découvertes, et quelques réels plaisirs visuels (en particulier dus à Echagüe et Drtikol). Elle constitue une agréable et intelligente aventure artistique. Même si elle ne répond pas à toutes les questions que pose un tel sujet.
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