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Pierre Belfond, éditeur et galeriste«Pour moi, l'avant-garde, c'est de se moquer des avant-gardes et de faire cohabiter Watteau et Survage.»
Lundi 18 novembre. L'exposition Picabia, au Musée d'art moderne, je retourne la voir, dans le calme, après l'agitation des cocktails. Depuis toujours, Picabia me fascine. J'ai eu la chance, en tant qu'éditeur, de publier, jadis, la totalité de ses . On peut le comparer à Tzara. Cette semaine, je réédite, à «Mémoire du Livre», l'ensemble de ses poèmes : une somme grandiose. Du peintre, je ne possède, hélas, que quelques aquarelles et une petite «Mécanique», mais Suzanne Pagé m'a fait l'honneur de les sélectionner pour cette rétrospective. Les admirateurs de Picabia attendent, depuis des années, qu'un critique d'art, bravant tabous et murs de la vie privée, rédige une biographie de Picabia - une biographie digne de ce nom. De même, il serait temps que l'on entreprenne la publication de sa correspondance, riche de milliers de lettres.
Mardi 19 novembre. J'irai à une exposition du Mois de la Photo. Je me suis découvert une passion pour la photographie depuis que, fouinant à Drouot un après-midi de mai 1990, je suis entré dans une salle où l'on vendait l'atelier de Georgette Chadourne. J'ai pu me faire adjuger une centaine de photographies originales et environ 4 000 négatifs - nus, vues de Paris, paysages et portraits d'écrivains (Aragon, Yourcenar, Fargue, Beucler) et d'artistes (Matisse, Bonnard, Staël, Picasso, Chagall). Je commence seulement à inventorier ce trésor, que j'aimerais montrer au directeur de la Maison européenne de la photographie, Jean-Luc Monterosso. Peut-être serait-il en mesure d' organiser, lors du prochain Mois de la Photo, une rétrospective Georgette Chadourne ; je crois qu'elle le mérite.
Mercredi 20 novembre. Maître Jean-Claude Binoche propose aujourd'hui à Drouot une vente de tableaux anciens et modernes. Je trouve que c'est une excellente idée de regrouper toiles du XVIIIe siècle et acryliques de la semaine dernière. Pour moi, l'avant-garde, en ce qui concerne, par exemple, la décoration d'un appartement, c'est de se moquer des avant-gardes et de faire cohabiter Watteau et Survage. Je cite Survage parce que ses œuvres figurent au catalogue de cette vente et que je connais très bien le collectionneur qui s'en sépare. La cote de Survage - comme celle de Masson ou de Bellmer, deux autres peintres que j'admire - est encore loin de se situer au niveau qui devrait être la sienne. C'est un mystère. En sens contraire, la surcote d'autres artistes est également un mystère.
Vendredi 22 novembre. Ma femme et moi préparons l'exposition qui doit avoir lieu en janvier 2003 dans notre galerie, rue Guénégaud. Nous la consacrerons aux dessins d'écrivains. Ce sera notre seconde exposition sur ce thème. De George Sand à Saint-Exupéry, de Musset à Prévert, de Baudelaire à Hugo, de Verlaine à Proust, de Mérimée à Cocteau, de Max Jacob à Nathalie Sarraute, d'Eluard à Bernard Noël, nos cimaises accueilleront quelque deux cents pièces. Bien sûr, il ne s'agit pas - sauf exception - de «chefs-d'oeuvre». Mais, pour nous, ces modestes morceaux de papier ont une âme.
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