Tàpies, le tragique du vécuSculptures, dessins... À 80 ans, le dernier des grands d'Espagne est saisi d'un activisme qui frôle la frénésie.
| Antoni Tàpies, Scarabée, 2002,
terre chamottée et engobe,
85 x 63 x 29 cm. © Galerie Lelong. |
PARIS. Un pied planté d'une croix. Un pied rugueux, tout juste sorti de cette brune terre occitane. Une terre chamottée, c'est-à-dire chargée de particules grossières, de morceaux de céramiques. La croix est simplement bricolée de deux morceaux de fer. Il s’agit de l’une des nouvelles sculptures d'Antoni Tapiès. Deux lettres envahissent toute son œuvre. Répétées jusqu'à l'obsession, elles forment sa marque. «A» comme alpha, commencement de toute chose mais aussi initiale de son prénom Antoni. «T» comme la totalité d'un monde à assumer, comme le signe de la croix, «t» enfin comme «tapies» qui en catalan signifie «mur». Son patronyme n'a pas fini de l'influencer. Tapies a édifié son univers sur les ruines d'un franquisme qu'il a fustigé et qui le poursuit avec des sculptures de murs blanchis comme des sépultures : des murs décrépis, craquelés ; des murs aveugles, gris, bruns, des murs pleins de salissures. Ces murs de prisons, de claustration, d'anéantissement ne s'en tiennent pas au murmure. Quant à toutes ces croix, elles sont les réminiscences de celles qui jonchaient les tombes des morts de la guerre civile.
La mort qui rôde
Déchirures béantes comme des séquelles de tortures, graffitis symboles de protestation silencieuse, torse sans bras d'homme oppressé, scarabée géant enfermant l'intimité des sentiments, chaise renversée portant, au fond, une tête de mort, voilà pour les sculptures. Ces fragments d'objets semblent sortis d'une nécropole. Signes, taches, coulures, jets de cire, traces de sécrétion flottant sur le papier blanc : voilà pour les dessins où sont interpellés tous les sentiments de la sexualité. Tapiès part du banal pour clamer la réalité tragique de la vie. À moins que comme les mystiques espagnols, il n'ait choisi le mystère comme seul interlocuteur.
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