Giorgio Morandi, Nature morte, 1950
© photo : Galleria d’Arte Maggiore, GAM, Bologne - ADAGP 2001-2002
| | Morandi, variations sur un même thèmeLe musée d'art moderne de Paris propose une rétrospective du Bolonais casanier, esthète des verres et des bouteilles.
Les oeuvres de petit format de Giorgio Morandi (18-19) s’alignent les unes à côté des autres, concentrées sur elles- mêmes, laissant apparaître majestueusement les formes légèrement arrondies et pures de cette salle d’exposition des années 30. Flacons, bouteilles, sucrière… sont les objets fétiches de l’artiste bolonais qu’il peint, dans chacun des tableaux, au milieu, selon un ordre précis, pas tout à fait le même, pas tout à fait un autre, peu spectaculaire, sublime. La sourde imperfection des contours qui les cernent, l’intensité intériorisée des couleurs, la solitude de chaque objet à part et la relation de chaque objet à l’autre rappellent la perfection mathématique des sons purs d’une variation sur le même thème de Bach. Ce n’est pas seulement de ce que l’on voit, mais de ce à quoi elle nous renvoie que cette oeuvre tient sa force. Comme les dessins qui l’accompagnent, elle nous montre combien la simplicité est belle.
On s’arrête, étonnés, devant le seul paysage exposé, traité pareillement à ses natures mortes. Une lumière chaude, intense, déferle à l’intérieur d’un espace clos où murs et fenêtres, ramassés sur eux-même d’une façon tout à fait abstraite et inattendue, occupent presque toute la partie gauche du tableau. Regarder chacun des oeuvres à part, puis l’une au regard de l’autre c’est un exercice délicieux. Ici, tout est une question de rapports. On songe aux natures mortes de Chardin. A la peinture métaphysique de Chirico. Oui, à une objectivité mentale. Une même image peinte quelques années après dépasse la précédente quant au mystère de sa présence modifiée. La disposition des objets, c’est-à-dire des formes et des ombres, des tons et des demi-tons, sont à chaque fois à peine perceptibles, et nécessairement autres. On ignore si les flocons sont pleins ou demeurent vides.
« Du poison » dit-on derrière moi. Cela serait bien étonnant. Morandi était un être d’une haute moralité. Emprisonné pour faits de résistance, il se retire après 1934 sur les collines de l’Emilie à Grizzana, pour peindre. « Un système qui ne peut pas se passer des contours » lance un peintre de nos contemporains qui évoque dans la conversation Bernard Buffet et les audaces de Pollock dans les années quarante. « Les aplats très simples, sont une vertu très rare de nos jours » réplique un second. D’ailleurs il y a toujours quelque chose à dire lorsqu’une oeuvre sort de l’ordinaire. Déjà en 1939, au cours d’une rétrospective à la quadriennale d’art national de Rome, une polémique s’était engagée autour du «cas Morandi». Le critique Roberto Longhi répliqua de façon péremptoire que « Morandi est l’un des meilleurs peintres vivants d’Italie ». Un jugement rétrospectivement avéré. Morandi est sans doute le plus grand peintre des natures mortes du 19e siècle. Et l’humilité face au travail à accomplir quotidiennement aussi est une chose rare de nos jours.
|