L’Angleterre a mal à son patrimoineLa Grande-Bretagne est le premier pays européen à se livrer à un bilan détaillé de son patrimoine historique. Un exemple à méditer.
| Le château de Whittington,
commencé au XIIIe siècle, est
inscrit sur la liste des
monuments en danger.
© Photo Matthew Georgeson,
English Heritage. |
LONDRES. Lundi 25 novembre, Sir Neil Cossons, président de English Heritage, était fier de présenter le SHER dans un lieu emblématique, la salle du Trésor à Whitehall, récemment restaurée. Le SHER, l’un des acronymes actuellement en vogue à Londres, est le State of the Historic Environment Report (Rapport sur l’état du patrimoine historique). Commandé par le gouvernement, c’est un dossier de plusieurs centaines de pages. La première conclusion est encourageante. L’unanimité sur l’utilité du patrimoine ressemble à celle qui prévaut dans les républiques bananières : 98% des parents britanniques souhaitent que leurs enfants reçoivent un enseignement sur les trésors culturels dans lesquels ils vivent. La deuxième est plus inattendue : investissez dans le patrimoine, vous vous enrichirez ! C’est en substance ce que montre une analyse pour ce qui concerne le rendement de 1980 à 2001. Les édifices protégés ont affiché une rentabilité de 9,7% par an, supérieure de 0,3% au reste du parc immobilier. Ce qui permet à English Heritage de souligner l’importance économique du secteur. En 2001, ce sont 57,7 millions de visiteurs qui ont fréquenté les 983 principaux sites du royaume, soit près d’une visite par habitant. Et les 30 milliards £ que rapporte chaque année l’industrie du tourisme en Angleterre sont grandement tributaires de ce patrimoine culturel. Un autre mécanisme ravira les keynésiens : dans le circuit économique du patrimoine, 96% des dépenses sont redistribuées, 4% seulement restant «prisonnières» du site qui les a suscitées.
Menaces sur le secteur privé
Cependant, tout n’est pas rose et English Heritage n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme. ll souligne par exemple combien les besoins d’une agriculture intensive ont entraîné de destructions, depuis la dernière guerre : près de 13 000 zones humides, qui recèlent d’immenses richesses archéologiques, ont ainsi été maltraitées ou rayées de la carte. Les fonds affectés aux travaux de restauration par les collectivités locales ont diminué de 8% en termes réels de 1996 à 2000. Et l’on connaît les affres des gentlemen-farmers de nos jours, obligés de vendre un Tiepolo ou un Raphaël pour éviter que l’orangerie ne s’effondre. Les propriétaires privés anglais ne sont pas éligibles aux subventions de la Loterie du patrimoine (Heritage Lottery) et ne disposent d’aucun mécanisme de défiscalisation. L’exonération de TVA pour les constructions neuves, au contraire des travaux de restauration, est un autre effet pervers. Messieurs les Anglais ont tiré les premiers : à quand des études aussi complètes pour les autres États de l’Union europénne ?
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