Bizarres géniesLe Docteur Alain Gillis analyse la pratique esthétique des enfants présentant des troubles de la communication. Art ou nature ?
«Comme une production naturelle qui a seulement reçu la marque d’un remaniement discret, la retouche d’une humanité encore indécise, cette peinture inattendue possède l’efficacité esthétique d’une parure sauvage» : le psychiatre Alain Gillis écrit bien. On s’en était déjà aperçu, grâce à deux ouvrages, Peinture d’Origine (1994) et L’autisme attrapé par le corps. Ici, il s’attarde sur les peintures de trois enfants (âgés de 6 à 13 ans), pensionnaires dans l’unité psychothérapique de Chelles-sur-Marne, où il travaille depuis vingt ans. Ainsi, il permet au dialogue entrepris par les artistes avec la création spontanée, depuis la fin du XIXe siècle, de progresser. Enrichissant la définition de l’art dit «brut» par le peintre Dubuffet (1945), Gillis, qui est également peintre et cinéaste, dédie son nouveau livre «aux enfants, dont l’intelligence reste étrangère à la science». À la notion d’art-thérapie, il préfère celle de «pratique spontanée de la peinture» (refusant tout conseil, toute technique). Il la perçoit comme une «chance d’expliciter le rapport de soi à l’espace».
Un style d’être-au-monde
De nombreuses reproductions permettent de saisir combien certains êtres, inadaptés au fonctionnement de notre société, peuvent produire des images spectaculaires, constitués de tons vifs et de formes indéfinies, cloisonnées. Étranges et fascinants labyrinthes... «S’agit-il d’œuvres d’art ?» Tel est le titre du premier chapitre, insistant sur le fait qu’il n’y a pas de contradiction avec les définitions traditionnelles. «Ce ne sont pas des objets d’art. Ce sont des objets esthétiquement pertinents»... Les «entrelacs énigmatiques» de Nicolas, les constructions de Jérôme et les «lanières» de Fabien constituent le découpage des chapitres suivants. Chacune de ces analyses plastiques traduit «l’état général d’un arrangement : un style d'être-au-monde». N’est-ce pas une belle définition qui pourrait s’appliquer à l’ensemble des œuvres d’art ?
| Françoise Monnin 11.01.2003 |
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