Les fouilles de Tillya Tepa en 1978, © Philippe Flandrin
| | Quel avenir pour le patrimoine afghan ?Alors que la probabilité d'une intervention militaire augmente, le pays compte ses ruines. Suite de notre entretien avec Philippe Flandrin, qui a mené une longue enquête sur le sujet.
Vous nous avez raconté hier la fin du musée de Kaboul. Qu'ont fait les marchands des pièces pillées et exportées illégalement ?
Philippe Flandrin. Ils se sont trouvés devant une grande difficulté : écouler des trésors dont la valeur globale s'élevait à des millions, voire des dizaines de millions de dollars. Certaines de ces œuvres d'art étaient connues et on ne pouvait donc ni les montrer ni les faire passer en vente publique. Le Metropolitan de New York a pourtant acquis une pièce qui était identifiée : une tête en argile étudiée par l'archéologue afghan Tarzi, et qui est même reproduite dans l'Encyclopaedia Universalis de 1988. La technique est simple : la pièce est achetée par un particulier puis donnée au musée. En ce qui concerne les ivoires de Begram, j'en ai encore vu un très beau lot à Londres au début de l'année 2000.
Avant la destruction des boudhas, d'autres sites ont eu à souffrir ?
Philippe Flandrin. Des sites comme Begram, Hadda ou Jallalabad ont bien sûr souffert des effets de la guerre. Begram se trouvait sur la ligne de front entre Massoud et les talibans. Jallalabad est au pied des montagnes qui mènent au Pakistan, d'où les moudjahiddin descendaient. Le site est devenu un véritable champ de bataille. Quant à Hadda, qui est d'accès facile, il a été pillé.
Les boudhas de Bamian avaient déjà été attaqués.
Philippe Flandrin. Oui, en 1997. Mais, en 1999, le mollah Omar avait émis une fatwah précisant que l'on ne devait pas s'attaquer au patrimoine culturel. Deux tendances s'opposaient à ce sujet. L'une était celle qui nous a permis d'entrer au musée de Kaboul en juin 2000, l'autre était représentée par les fanatiques de la police du Vice et de la Vertu. A ce propos, lorsque l'on parle de fanatiques, il faut se méfier : beaucoup sont d'anciens tortionnaires soviétiques qui se sont tout simplement laissé pousser la barbe et qui n'ont aucun intérêt à ce que la paix revienne en Afghanistan. Ils auraient trop à y perdre.
Que s'est-il passé en 2001 ?
Philippe Flandrin. En février, qui est l'époque de la soudure, l'Afghanistan vit souvent une disette, qui se transforme en famine si la sécheresse a été trop grande l'année précédente. En 2001, il s'est agi d'une véritable famine qui a secoué les bases de l'état. Cela a été l'occasion d'une grande offensive des alliés de Ben Laden. Malgré la fatwah d'Omar, ils sont entrés un vendredi dans le musée de Kaboul où ils ont tout cassé. Aller contre une fatwah, cela signifie être passible de divers châtiments, de peines de prison. Mais le lundi suivant, Omar a émis une nouvelle fatwah disant qu'il fallait détruire les idoles. C'était un petit coup d'Etat. Les partisans de la préservation du patrimoine étaient mis sur la touche. Les boudhas ont été détruits et, immédiatement après, on a immolé cent bœufs, dont la viande a été distribué aux pauvres, pour établir un lien de cause à effet entre la destruction des idoles et la fin de la famine. On était en plein délire symbolique…
Que reste-t-il du patrimoine afghan ?
Philippe Flandrin. Avec tous les gens qui œuvrent pour la défense du patrimoine afghan, nous avons pris la décision de ne plus parler. Si je vous dis que dans telle cave, il reste 500 statues magnifiques, je donne l'adresse et le mode d'emploi. Pour ne pas finir en queue de poisson, on peut dire qu'il reste énormément de choses à découvrir. Il n'y a eu en Afghanistan que quarante ans de campagne archéologiques sérieuses. Dans certains endroits, comme à Hadda, il suffit de creuser pour trouver…
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