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Expositions

Quand Savinio réécrivait la mythologie

Cinquante ans après la disparition du frère cadet de Giorgio de Chirico, une rétrospective donne la mesure de son talent.


Le Navire perdu, 1928,
huile sur toile, 81,5 x 55,5 cm,
collection privée, Turin.
© Fondazione Mazzotta, Milan.
MILAN. Né à Athènes en 1891, André de Chirico se révèle très tôt un pianiste virtuose. Installé à Paris en 1911, il y est remarqué par Apollinaire, qui publie plusieurs de ses essais. C’est alors qu’il choisit le pseudonyme d'Alberto Savinio et compose son chef-d'œuvre, Les Chants de la mi-mort. Il ne se consacre pleinement à la peinture qu'à partir de 1926 et devient la coqueluche des surréalistes, alors qu'André Breton vient à peine de condamner de Chirico… L'exposition milanaise montre de manière judicieuse les différentes facettes de son art. Les portraits qu'il réalise à cette époque conjuguent l'étrange et une curieuse perversion de thèmes anciens. Son Autoportrait (1927) est exemplaire : on le voit en enfant aux traits hermaphrodites (sa première œuvre de fiction s’intitulait d’ailleurs Hermaphroditus), le visage encadré de longs cheveux bouclés, devant une large fenêtre d'où il peut voir un immeuble de caractère métaphysique. Mais ses paysages, composés essentiellement d'objets aux formes géométriques, sont encore plus singuliers car ils n'ont rien de commun avec les œuvres surréalistes. Du Navire perdu (1927) à Sodome et Gomorrhe (1929), il crée des vedute imaginaires où les objets les plus divers servent à engendrer un monde qui paraît une réminiscence, transposée, d'illustrations de livres d'aventures ou de scènes mythologiques.

Microcosme fantastique
La mythologie joue un rôle essentiel dans son aventure esthétique. Tout en empruntant aux Grecs et aux Latins, elle n'appartient qu'à lui. Ses personnages sont souvent des athlètes nus, asexués, à la tête minuscule, portant parfois un masque grillagé de gladiateur. Son Gardien d'étoiles et son Astrologue méridien (1929) sont la manifestation de ce microscome fantastique, qui ne cesse de produire des figures ambiguës et des refontes complètes de thèmes classiques, comme la Fin d'une bataille des anges (1930). Mais la verve, l'humour et le goût du bizarre qui lui sont propres se manifestent dans l'invention de scènes avec des personnages zoomorphes, telles Pénélope (1933) et Ariane (1939). L'exposition comprend aussi des projets de peintures murales, des décors et des costumes (par exemple ceux pour l'Œdipus rex de Stravinski), de couvertures et d'illustrations de livres. Ses autoportraits (en particulier celui de 1934) font apparaître le caractère complexe de cet homme modeste et d'une culture encyclopédique, ambitieux et timide, génial et réservé. Le mérite de la Fondation Mazzotta est d'avoir restitué l'artiste dans toute sa complexité et dans sa faculté de toucher à tous les arts avec une intensité égale.


 Gérard-Georges Lemaire
03.02.2003