Aux confins de l'art

LYON. Dans la grande salle du Rectangle, haltères, bancs et appareils de musculation s'enchevêtrent. On dirait un de ces clubs de remise en forme à la mode. Mais un regard plus attentif éveille nos soupçons : les couleurs sont étrangement fades, les formes grossières et les matériaux bruts (béton, acier terne, cordages…). L'infrastructure reste visible et l'ensemble a été construit sans souci esthétique ni design. Quelques éléments incongrus s'ajoutent au dispositif : des bouteilles d'alcool suspendues, des couchettes, une sorte de petite «cage». Au niveau supérieur de l'installation, on peut encore découvrir une douche et des W.C. chimiques, une grande table, un petit salon et un lit immense pouvant accueillir une vingtaine de personnes ! «J'ai voulu créer une sculpture extrême. Ici, chacun peut poursuivre ses obsessions jusqu'à l'extase, l'épuisement ou même la mort», explique Joep Van Lieshout. Sportopia propose aux visiteurs une expérience à la fois physique et intellectuelle. Plaisir, sexe, loisir, communauté et rapport à soi sont ici déconnectés des circuits socio-économiques habituels. Dans quel but ? À vous de le découvrir ou de l'inventer. L'utopie chez Van Lieshout ne se projette ni ne s'illustre, mais s'éprouve.

Une conception élargie de la création
Cette affirmation du «faire» est une des caractéristiques de l'œuvre de Van Lieshout. Passant outre à toute fin morale ou esthétique, l'artiste suit une éthique de la production et de l'expérimentation. Depuis 1994, il dirige l'Atelier Van Lieshout (AVL), surprenante synthèse d'artisanat, d'atelier Renaissance et d'entreprise moderne. Situé à Rotterdam, fort d'une trentaine d'associés, l'AVL produit du mobilier, des équipements architecturaux, des caravanes, etc. Fonder un mini-État, construire des armes, distiller de l'alcool, mettre en conserve des viandes, piloter une voiture de course, tout comme peindre ou sculpter, est du ressort du créateur. D'ailleurs, quelques aquarelles et sculptures sont exposées dans une seconde salle. Les premières sont une suite de planches anatomiques et de représentations pornographiques. Les autres, Les Trois Scientifiques aux formes très sommaires, retracent les trois âges de la raison humaine. Van Lieshout a pris acte de l'histoire de l'art du XXe siècle et de ses apories. Selon lui, l'artiste, paradoxalement, sera d'autant plus autonome qu'il élargira ses territoires d'intervention et saura brouiller les frontières entre l'art et la vie.