Touche pas à ma place !Jusqu’où s’étend le droit d’auteur pour une création dans l’espace public ? La décision sur l’affaire qui oppose Daniel Buren à des éditeurs de cartes postales est attendue avec intérêt.
LYON. La place des Terreaux, réaménagée en 1994 par Christian Drevet et Daniel Buren, est le terrain d’un enjeu juridique qui dépasse de beaucoup les seuls droits de ces auteurs. En effet, au-delà de la reconnaissance de leurs droits en qualité d’auteurs, c’est plus généralement le thème de la liberté d’expression des photographes, et surtout le débat sur la «privatisation de l’espace public», qui attendent des réponses de la cour d’appel de Lyon qui doit délibérer le 20 mars. L’architecte et le plasticien ont aménagé le sol de cette célèbre place d’un damier de 69 carrés de pierre comportant en son centre une colonne d’eau et maillé de lignes alternées noires et blanches l’espace bordant la place. En 1996, ils ont porté plainte pour contrefaçon contre plusieurs éditeurs qui ont reproduit et commercialisé des cartes postales représentant la place des Terreaux, sans leur autorisation et sans mention de leurs noms. Dans sa décision du 4 avril 2001, le tribunal de grande instance de Lyon a admis sans difficulté que ces aménagements de la place constituaient une œuvre originale, à ce titre protégée par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle.
Le droit moral des coauteurs reconnu
En revanche, et c’est l’intérêt de cette affaire, les magistrats n’ont reconnu qu’un droit d’auteur amputé. En effet, ils ont été réticents à l’idée qu’un nouvel aménagement, pourtant reconnu comme œuvre originale, entraîne l’appropriation de droits d’auteurs sur la place des Terreaux et les immeubles alentour, appartenant au domaine public. Résultat : les éditeurs sont tenus de mentionner le nom des coauteurs, mais ces derniers ne sont pas fondés à recevoir une rémunération en contrepartie des reproductions. Ainsi, le droit moral des coauteurs est reconnu mais pas leurs droits patrimoniaux. Cette décision nous semble parfaitement fondée dans la mesure où une analyse précise de chaque carte postale faisait apparaître que l’œuvre de Drevet et Buren n’était photographiée que comme accessoire du sujet principal, la place et ses bâtiments alentour. Ainsi, d’autres clichés isolant réellement l’œuvre des auteurs de l’espace public aurait assurément entraîné une condamnation pour contrefaçon. Cependant, l’argument principal des magistrats selon lequel l’œuvre s’incorpore à un tel point dans l’espace public qu’il n’est pas possible de distinguer sur les photos le domaine public, libre de droit, de l’œuvre protégée est fort délicat à manier. Sur quels critères objectifs peut-on le fonder ? Notons que nos magistrats seraient dispensés de cette gymnastique juridique si la France transposait la directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur dans la société de l’information. Elle offre en effet la possibilité aux États membres de prévoir une exception aux droits d’auteur lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics.
| Yann Queinnec Landwell & Associés - Avocats 13.03.2003 |
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