Chagall ou la puissance de la naïvetéMontée en quelques mois seulement, la rétrospective, attendue depuis trente-cinq ans à Paris, n’a pas enregistré de défections de la part des prêteurs.
| L'homme et le boeuf, 1912
© RMN |
PARIS. Cimaises grisâtres ou beiges, le Grand Palais ne s'est pas mis en frais pour Chagall. La lumière qui vient des toiles fait oublier ces tristes salles d'exposition. Trop de toiles dans trop peu d'espace : on aimerait une circulation plus fluide. Pourquoi obliger le public à descendre cet horrible et périlleux escalier en colimaçon ? L'accrochage des gouaches des Fables de La Fontaine, la présentation de l’immense décor du théâtre juif relèvent en revanche d'une vraie mise en espace. «Sur quel maître de notre temps s'est-on mépris davantage ?» La question est de Malraux. La réponse est en cent soixante-dix-neuf peintures, gouaches et dessins, témoignant d’une œuvre gigantesque qui continue de séduire ou d'agacer. Il serait trop simple de prendre Chagall au pied de ses toiles. Trop jolis pour être honnêtes, ces petits oiseaux, ces amoureux en extase, ces ânes volants, ce foisonnement de naïvetés. Tous ces signes du bonheur aboutissent, dans les tableaux ultimes, à une lumière presque nocturne et pourtant flamboyante.
L’art du décalage
L’apport des musées américains était essentiel et n’a heureusement pas été remis en cause par les inquiétudes des prêteurs. Il permet de montrer des œuvres des débuts comme Le Poète aux oiseaux de 1911 (Minneapolis Institute of Art), Adam et Ève de 1912 (Saint-Louis Art Museum) ou L’Acrobate de 1914 (Albright-Knox Art Gallery). À chaque pas, l'exposition montre un Chagall qui plie sa propre histoire à celle du XXe siècle, sans être jamais au diapason de l'art moderne. Au contraire : il oppose aux abstraits ses transpositions du réel, au cubisme matérialiste ses émotions religieuses, à l'avidité des peintres à la mode son opulente probité. À force de suivre sa route, de railler les écoles en «isme», il finit par distraire du troupeau quelques têtes qui se décident à penser, à créer par elles-mêmes. Son indépendance donne aux peintres d'aujourd'hui un certain sens de la liberté. En regardant passer les courants, Chagall a été un précurseur.
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