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Marché

André Derain, l'époque fauve avant tout

Malgré un regain d’intérêt pour les tableaux postérieurs ou les sculptures, l’écart demeure manifeste entre l’artiste fauve et «l’autre» Derain.


André Derain, Barques au port
de Collioure
, huile sur toile,
1905, 60 x 73 cm, adjugé 2,642
millions $, le 2 nov 1993
© Photo : Christie’s
Suivi par certains des plus grands marchands - Vollard, Kahnweiler puis Guillaume -, qualifié par André Lhote de «plus grand peintre français vivant», condamné à l’ostracisme suite à ses prises de position contre la superficialité des mouvements d’avant-garde et à son voyage en Allemagne durant l’Occupation, André Derain suscite des jugements contrastés. Issu d’un milieu qui le prédisposait peu à l’art, Derain entame une formation classique à l’atelier Carrière. En 1900, il rencontre Vlaminck avec lequel il partage l’atelier «La Baraque» à Chatou. Ensemble, ils se passionnent pour l’art africain. Avec Matisse, il passe l’été 1905 à Collioure, un séjour méditerranéen pendant lequel il développe le goût des couleurs saturées. À son retour, il expose au Salon d’automne dans la fameuse «cage aux fauves», ainsi dénommée par le critique Louis Vauxcelles. En 1908, installé à Montmartre, il fréquente les cubistes du Bateau-Lavoir : Picasso, Braque, Van Dongen… Assimilant la leçon cézanienne, il l’associe aux influences primitivistes dans un style souvent qualifié de «byzantin», en raison de ses figures hiératiques, étirées. Mobilisé, il combat dans la Somme et dans l’Aisne, puis il participe pleinement au mouvement retour à l’ordre. Le succès est alors au rendez-vous. Inspiré par les maîtres anciens, il peint portraits, natures mortes et paysages. Une activité qu’il mène de front avec un travail de décorateur pour les Ballets russes ou pour l’opéra.
Avec ses nombreuses expositions, la dernière décennie a permis une appréciation moins dogmatique du travail de Derain. Les tableaux fauves suscitent toujours plus de passion. Sept des dix plus fortes adjudications des dix dernières années datent des années 1905 à 1907. Les toiles de cette époque s’échangent autour d’1 million € tandis que les autres sont généralement vendues entre 10 000 et 30 000 €. Cependant, le reste de son œuvre est progressivement reconnu, à l’instar des sculptures. Derain a effectivement travaillé le bois, la pierre et la terre dès 1906. Si les originaux s’envolent parfois à 150 000 €, la plupart des pièces disponibles sur le marché sont des bronzes fondus à la demande de son épouse, généralement des masques.

La cote dopée par la «vente d’atelier» de 2002

Trois questions à Michèle Aittouarès, Galerie Berthet-Aittouarès

Quelle a été l’évolution de la cote de Derain ?
Michèle Aittouarès.
Derain avait déjà une forte cote en son temps. Ce qui s’est affirmé après sa mort, c’est la différence entre ses œuvres. De son vivant, on pouvait payer très cher pour le portrait de Madame Untel… Mais, aujourd’hui, ces toiles qui ont été peintes en grand nombre et parfois sur commande intéressent moins. En revanche, les toiles fauves sont devenues très chères. Ce fossé entre les peintures fauves et les autres œuvres est vraiment caractéristique de Derain. Le seul autre artiste chez qui on observe cette différence, c’est Othon Friesz.

D’autres changements se sont-ils produits, plus récemment ?
M. A.
Oui. Les 23 et 24 mars 2002, une vente a eu lieu à Saint-Germain-en-Laye chez Loiseau, Schmitz et Digard. Il s’agissait de la succession de Raymonde Kanublich, la mère du fils de Derain, Bobby. Ça n’était pas la totalité du fonds d’atelier, car Bobby a vécu toute sa vie grâce à cette collection. Mais quand nous avons appris la dispersion de plus de 4 000 dessins, cela nous a paru une catastrophe. Pourtant, contrairement à ce que nous craignions alors, les lots ont été vendus plus cher que ce qu’on attendait - la séduction de la provenance directe de l’atelier ! - et la vente a donné un coup de fouet au marché… Cela a suscité de nouvelles demandes.

Quels sont les «genres» concernés par ce regain d’intérêt ?
M. A.
Les dessins : pour moi, c’est d’autant plus évident que je les aime beaucoup ! C’est également le cas pour les sculptures. À la Foire de Bâle, je me rappelle avoir vu, il y a quelques années, des séries de bronzes de Derain que personne ne voulait acheter. Aujourd’hui, c’est un goût qui se confirme comme l’a montré la récente exposition de ma consœur, à la Galerie de la Présidence. En revanche, le processus commence à peine pour les natures mortes sur fond noir de la fin de sa vie. Jusque là, on les méprisait et, si on commence à s’y intéresser, elles n’atteignent pas encore le prix qu’elles méritent.


 Zoé Blumenfeld
25.03.2003