Métissage à la SoojaL’artiste coréeenne Kim Sooja, enfin exposée en France, utilise toutes les ressources du village global.
| Kim Sooja, A Needle Woman.
© Kim Sooja, Musée d'art contemporain. |
LYON. Dans une première salle obscure, huit écrans géants. Sur chacun d'eux, Kim Sooja apparaît au centre de l'image, de dos, vêtue d'une tunique grise. Immobile et silencieuse, elle fait face au flux ininterrompu des passants, pressés ou nonchalants, indifférents ou étonnés. Ces huit vidéos sont les traces de performances effectuées au cœur de villes tentaculaires telles que Tokyo, Shanghai, New York, Lagos ou Le Caire. Chaque civilisation, chaque environnement urbain se démarque par ses rites, ses rythmes, ses couleurs et ses sonorités. Au Nigeria, des enfants s'arrêtent et s'amusent autour d'elle. À New York les badauds ont l'air de ne rien remarquer. Au Caire, l'atmosphère est empreinte d'une certaine tension. Dans Yamuna River, Kim Sooja, toujours filmée de dos et immobile, fait face à un autre type de flux : celui d'un fleuve indien charriant détritus, bouts de bois et autres scories. Plus loin, on retrouve sa silhouette solitaire dans la montagne, cette fois-ci allongée sur un rocher. L'image semble figée mais, imperceptiblement, quelques nuages glissent de gauche à droite. Le regard et le corps de l'artiste, auxquels s'identifie très vite le spectateur, se confrontent ici à la durée et aux mouvements plus lents de la nature.
Labyrinthe soyeux
Pour chacune de ces performances, Kim Sooja se place à la croisée d'éléments antinomiques, son corps est le support de rencontres énigmatiques : celle d'un flux et d'un être figé, de l'homme et de la nature, de l'opulence et du dénuement… Née en 1957 en Corée du Sud, formée à l'École des beaux-arts de Paris, vivant actuellement à New York, l'artiste est elle-même au croisement de cultures différentes. S'inspirant souvent de traditions de son pays d'origine, elle les transcende pour offrir des œuvres à caractère universel qui laissent une large place aux aspects purement sensibles. Cette double démarche se retrouve dans l'installation A Laundry Woman qui occupe tout un étage du musée. D'innombrables «bojaghi» (tissus traditionnels coréens qui étaient offerts comme trousseau) sont disposés sur des étendages comme du linge à sécher. Les pièces de tissus aux couleurs chatoyantes, vibrant légèrement au souffle de ventilateurs, forment un vaste labyrinthe apaisant. Symboles à décrypter ou composition plastique jouant uniquement sur les matières, les volumes et les couleurs ? Les deux approches sont possibles et conciliables. Là comme dans ses performances, Kim Sooja excelle dans l'art d'entrelacer signes et formes, sens et sensations.
| Jean-Emmanuel Denave 04.04.2003 |
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