Breton habitait au-dessus du CielEn 1946, Jean Bedel rencontre André Breton, de retour des États-Unis, où il a passé cinq ans. La fameuse collection, qui est vendue ces jours-ci à Drouot, est au centre de la discussion.
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Au n°42 de la rue Fontaine, dans la prespective du Moulin Rouge, se cotoyaient deux cabarets, le Ciel et l’Enfer. Breton habitait au-dessus du Ciel, une façade bleu pâle où voltigeaient des anges en pâtisseries d’un rose empoussiéré. Pour accéder à l’appartement, il fallait suivre un couloir qui débouchait sur une petite cour. «Monsieur Breton, s’il vous plaît ?» Attentive aux visiteurs, la concierge a coutume de répondre : «Cest au deuxième et demi»... L’entrée est en effet à la hauteur d’un demi palier. Un coup de sonnette et Breton surgit. Il porte avec aisance la cinquantaine à peine grisonnante, il a l’air d’un grand jeune homme étonné. «C’est vous le journaliste... Croyez-vous que mon retour soit un événement ?» À la belle époque du surréalisme, Breton, parfaitement lucide, se sentait sans doute au purgatoire. Je réponds pour esquiver : «Vous vivez au-dessus du ciel... «Vous voyez bien, j’habite au-dessus du ciel et je m’en félicite !», me répond-il.
«J’en suis resté à l’avant-guerre»
Avec courtoisie, il me fait asseoir dans un large fauteuil, entre une caisse pleine de coquillages et une grande volière d’oiseaux empaillés. L’atelier est éclairé par des fenêtres hautes, dont certaines sont parsemées de trous étoilés. « Souvenir de la Libération de Paris, une rafale de mitraillette. Il faut que je fasse changer les vitres. À vrai dire, je n’ai pas repris contact avec Paris. Je ne suis pas arrivé avec un trousseau de clés magiques qui me permettent d’ouvrir toutes les portes fermées depuis 5 ans. Je m’installe à peine...» Sur les murs sont accrochés des objets étranges, boucliers, collection de papillons, cornes et ossements d’animaux. Des caisses entrouvertes jonchent le sol. En attrapant une sorte de fétiche en bois peint de vives couleurs, hérissé de plumes, il s’émerveille et parle avec volubilité : «C’est une poupée Kachina Hopi qui vient d’Arizona. Les Indiens sont les plus grands artistes du monde. J’ai pu les aborder dans leurs «réserves». Les enfants dessinent, peignent et sculptent avec une étonnante facilité. J’ai aussi rapporté des œuvres fabriquées par les Eskimaux de l’Alaska. Les masques à transformation d’origine Haïda changent d’expression si on tire les ficelles : ils claquent des dents ou ferment les paupières. Vous verrez, vous verrez… D’ailleurs, je vais écrire sur ces peuples doués d’un sens artistique fabuleux.» «Avez-vous pu vous tenir au courant de la vie intellectuelle en France ?» «Mal. J’en suis resté à l’avant-guerre. Je ne connais pas l’importance des tendances actuelles. Autant que je sache, mon art est difficilement compatible avec l’existentialisme.» À cette époque, Breton s’est éloigné de l’art nègre, qu’il avait fortement contribué à révéler. Le poète surréaliste le trouvait trop réaliste ! Parmi tous ses objets d’une «beauté convulsive», comme il dirait, Breton paraissait à la recherche de sa propre identité. De ce vaste héritage tombé du ciel, la vente «Breton, 42 rue Fontaine» compte au total 6 250 lots. Une cinquantaine proviennent de la côte Ouest d’Amérique du Nord, dont six masques eskimaux, certains estimés plus de 100 000 €, et vingt poupées Kachina (3 000 à 15 000 €). Ils seront mis en vente dans la partie «arts primitifs», le 17 avril prochain. Breton n’a pas fini de séduire.
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