Catherine Millet, critique d'art et écrivain«J’aime l’idée qu’un peintre - de plus, une femme telle que Frida Kahlo - devienne une icône.»
Lundi 7 avril
Je suis dans le train - j’ai une maison près de Perpignan. Le 6, j’ai assisté à l’ouverture de l’exposition de Stéphane Pencreac’h dans deux lieux que j’aime bien. Ceux qui s’en occupent sont des esprits très indépendants. À l’Espace d’art contemporain de Sérignan, le maire, André Gélis, est un passionné d’art. À Sigean, Le lieu dit Le Lac est dirigé par un artiste, passionné, collectionneur, Piet Moget. Il s’agit d’anciennes caves.
Mardi 8 avril
Je me rends à l’avant-première, au Forum de l’Image (Paris), du film très hollywoodien consacré à la peintre Frida Kahlo. J’aime l’idée qu’un peintre - de plus, une femme - devienne une icône. À Mexico, j’ai pu vérifier combien Rivera, Siqueiros, Orozco ou Kahlo font l’objet d’un véritable culte. J’ai souvent défendu des œuvres difficiles. Mais une œuvre qui concerne un grand public me touche aussi. De plus, l’actrice est très jolie. Alors, pourquoi bouder son plaisir ?
Mercredi 9 avril
Je passe la journée avec une équipe de la télévision hongroise. Cela concerne mon livre, La vie sexuelle de Catherine M.. Je participerai à la fin du mois au Salon du livre de Budapest, dont l’invité d’honneur est la France. Mon autobiographie, parue en hongrois, a l’air de très bien marcher. Elle existe désormais en trente et une langues, depuis peu en russe, malheureusement pas encore en arabe. Mais L’art contemporain, que j’avais écrit il y a quelques années, vient de paraître chez un éditeur égyptien.
Jeudi 10 avril
Je me rends au Palais de Tokyo, avec mon amie Catherine Robbe-Grillet, pour voir l’exposition «Hardcore», qui pose la question de l’engagement de l’artiste aujourd’hui. Une œuvre nous intéresse en particulier : le film de Clarisse Hahn, Karima. Clarisse a publié ses premiers textes dans Artpress. Aujourd’hui, elle réalise des sortes de reportages, avec une grande liberté de regard, une grande souplesse de caméra. Karima est ce que l’on appelle, dans les milieux sadomasochistes, une maîtresse. Le film va à l’encontre de tous les clichés. Il est totalement démystifiant, montre des vraies personnes, dans leur environnement amical et familial.
Vendredi 11 avril
Je prends l’avion pour Valence, en Espagne. J’y fais une conférence, intitulée «Catherine M., critique d’art», organisée par l’Université Jaume 1er de Castello, à l’Espai d’Art Contemporani. Le symposium «Nouvelle géographie, nouvelle subjectivité» réunit des personnes qui vont à l’encontre des cadres conventionnels. Ce qui a intéressé les organisateurs, c’est mon autobiographie sexuelle. Je n’aurais pas écrit mon livre comme je l’ai écrit si je n’avais pas été critique d’art. J’y décris les scènes comme si j’avais un tableau sous les yeux, avec un même souci d’exactitude, de distance. Les œuvres qui m’ont toujours intéressé, le body art, ou les performances utilisant la vidéo, l’image de soi (celles de Dan Graham ou de Michel Journiac) ont joué un rôle dans la manière dont j’ai élaboré le livre. Et si je n’avais pas été une intellectuelle, l’impact de mon livre n’aurait pas été le même. Cela m’amuse aussi de réfléchir à ça.
Critique d’art, Catherine Millet a publié de nombreux ouvrages et dirige la magazine Artpress depuis sa création, en 1972. Son autobiographie sexuelle, parue en 2001, a été saluée comme un événement littéraire.
| Françoise Monnin 07.04.2003 |
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