Papier peint recherche artistesMalgré son extraordinaire diffusion depuis un siècle dans les intérieurs modernes, le papier peint peine à attirer les plasticiens.
| © Musée du papier peint de
Rixheim |
Des artistes réputés ont dessiné des meubles, des lampes, des paravents, des textiles, voire des cafetières. Pourquoi compte-t-on si peu de grands noms dans le domaine du papier peint, qui est pourtant un produit de grande consommation ? Une exposition au Musée du papier peint de Rixheim, consacrée au XXe siècle, devrait permettre d’apporter quelques réponses. «De nombreux essais ont été faits, constate Bernard Jaqué, le directeur du musée, mais ils ont souvent été très décevants. Prenez le cas de la vache de Warhol… C’est que la conception d’un motif de papier peint est avant tout le travail d’un dessinateur spécialisé. Il faut un œil particulier pour que la répétition du motif donne une composition harmonieuse.» Les dessins préparatoires doivent se faire à échelle réduite pour mieux juger de l’ensemble. Quelques principes de base doivent être respectés. Une composition à dominantes verticales permettra de compenser un plafond bas ; à dominantes horizontales, elle donnera l’impression d’élargir la pièce. Pour beaucoup d’artistes, le papier peint s’apparente à un travail fastidieux, non signé. Les annales ne nous en livrent donc que quelques rares exemples, le plus emblématique étant probablement celui de Dufy. Sa série sur les petits bateaux roses de 1893 est exposé au Musée du Prieuré à Saint-Germain-en-Laye. Et si l’on peut citer quelques créateurs de premier plan, comme Mucha ou Ruhlmann, ils sont peu nombreux et proviennent généralement du monde des arts décoratifs. Le papier peint est donc essentiellement un univers anonyme…
| © Musée du papier peint de
Rixheim |
Du côté de l’industrie
Il n’y a d’ailleurs rien de surprenant à cela : le papier peint est un produit industriel et les rapports entre l’art et l’industrie, qui nous semblent naturels aujourd’hui, ont longtemps été inexistants. Quand le papier peint naît en Angleterre à la fin du XVIIe siècle puis lorsqu’il se diffuse à grande échelle, au siècle suivant, après 1770 en France, il n’a guère de connotation artistique. Il n’est perçu que comme un moyen économique de décorer ses murs, confié à des professionnels, des dessinateurs spécialisés. «Deux raisons expliquent sa percée, explique Bernard Jacqué. Il y a d’abord un facteur matériel : on chauffe mieux les intérieurs, ils sont mieux calfeutrés, il y a donc moins d’humidité, que le papier ne supporte pas. Une raison sociologique, ensuite : la société aristocratique dépensait beaucoup pour son décor. Les classes bourgeoises ont le même besoin de statut mais pas les mêmes moyens. Pas question de tentures ou de soieries. Le papier peint est parfaitement adapté et, de plus, son prix baisse très vite grâce à la mécanisation. Dans la première moitié du XIXe siècle, on l’achète en francs-or, dans la seconde moitié en centimes-or…» Après 1850, le papier peint, avec le passage de la technique de la planche à celle du cylindre, entre véritablement dans la vie quotidienne. Zola montre comment Gervaise choisit son papier peint, précise son prix… Même Alphonse Daudet commettra un roman, Fromont Jeune et Risler Aîné - qui ne jouit pas d’une réputation considérable - qui se déroule en grande partie dans une usine de papier peint.
| © Musée du papier peint de
Rixheim |
La révolution du Bauhaus
La grande révolution du papier peint se noue à la fin du XIXe siècle. Jusque-là, il se bornait à imiter les effets de textiles, avec, autant que possible, des inclusions d’or pour lui donner un aspect luxueux. Les motifs très naturalistes des manufactures françaises, les grands panoramas dont Zuber à Rixheim était un spécialistes, sont critiqués par les nouveaux mouvements qui visent à tendre un pont entre industrie et création artistique. Les exposants d’Arts & Crafts en Angleterre, avec William Morris, en sont les pionniers. Morris ou Walter Crane dessinent des formes végétales stylisées, qui connaîtront un succès durable, comme le Pimpernel de Morris (1876). La plume de paon inspire aussi bien Walter Crane (Peacock Garden de 1889) que Peter Behrens, des Wiener Werkstatte, en 1896. Ces motifs gagneront en volutes sous l’Art nouveau, puis se schématiseront dans une veine plus géométrique avec l’Art déco, dans les années 1920. Morris, pour sa Red House ou Van de Velde, pour sa maison d’Uccle, dessinent leur propre papier peint. Mais ces tentatives isolées sont très marquées Belle Epoque. L’idéal d’une maison-œuvre d’art totale ne survivra pas à la Première Guerre mondiale et le papier redeviendra un produit industriel. Il reviendra au Bauhaus d’introduire une rupture fondamentale. Encore une fois, aucun de ses représentants les plus célèbres - Gropius, Breuer, Moholy-Nagy - ne signera une série de son nom mais la collection commercialisée en 1930 n’en portera pas moins clairement la marque du Bauhaus. Les motifs sont abandonnés au profit d’effets de matière et les bordures, qui faisaient aussi l’objet de compositions soignées disparaissent. Le papier peint devient un simple succédané de ces enduits que l’on pouvait étaler sur les murs en les travaillant légèrement. La crise économique tombe à point : ce papier n’occasionne pas de déchets à la coupe comme c’est le cas lorsqu’il faut veiller aux raccords dans les motifs figuratifs. Produit en grande quantité - 4,5 millions de rouleaux dès 1930 - il connaîtra une longue postérité. Jusque dans les années 1960, il sera utilisé pour tapisser les appartements des HLM.
| © Musée du papier peint de
Rixheim |
Les fleurs du Pop
La production du Bauhaus, renforcée par les invectives d’Adolf Loos contre les méfaits de l’ornement, contribuera à une «crise du motif». Le papier peint s’allège, s’éclaircit, devient un «clavier de couleurs» selon le mot de Le Corbusier, transmet des effets de crépi, de marbrures. «Le retour du motif se fera dans les années 1960-1970 avec l’iconographie pop, explique Bernard Jacqué. Ce seront des grandes fleurs violettes, des couleurs violentes, qui sont contemporaines de l’explosion de la consommation de masse et du mouvement hippie. Les suivront, dans la roue, les motifs géométriques de l’op art, avec Vasarely notamment. Ces mouvements ont marqué une génération : on s’en aperçoit en observant les réactions des visiteurs au musée…» Ce bref revival ne passera pas la décennie 1970. Le motif est retombé dans sa crise profonde. Seule la chambre d’enfant, qui fait l’objet d’une offre spécifique depuis la fin du XIXe siècle - encore une fois grâce aux Anglais qui font ouvre de pionniers avec leur nursery - y fait recours. Et encore ne s’agit-il généralement que de la commercialisation des personnages de bandes dessinées ou de dessins animés, qui ne sont pas loin de transformer les murs domestiques en panneaux de publicité. Si l’essentiel de la production est aujourd’hui banalisé, quelques tentatives originales survivent, à l’actif de groupes de design, comme Memphis, lancé par Ettore Sottsass, ou de créateurs indépendants comme Zofia Rostad. Dans ce domaine, Art Wall Sticker apparaît comme une initiative originale, lancée en 2002 sous forme de site internet. Elle commercialise des motifs, commandés à des artistes de renom, comme Buren ou Closky. Les motifs, autocollants, permettent de couvrir une surface de 6 ou 15 m2, au coût de 230 €. Une approche originale mais encore élitiste… La question semble, à cette heure, sans réponse : les artistes réussiront-ils un jour à coloniser nos murs ?
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