La préhistoire au Salon

BORDEAUX. Sur fonds de cimaises rouge dans la tradition des Salons du XIXe siècle, silex et peintures académiques sont mélangés dans une présentation à la croisée de l’art et de la science. Placée sous le double patronage de Vénus et Caïn - respectivement appellation générique des figures féminines paléolithiques et premier homme né du « péché » - cette exposition nous rappelle que la découverte de l’antériorité de l’homme est venue, non sans difficultés, ébranler le texte biblique de la création.

Alors que la science préhistorique se constituait, savants et artistes ont collaboré de manière féconde pour donner une apparence humaine à des ancêtres connus uniquement par leurs ossements. De 1909 à 1914, le belge Louis Mascré modèle une série de quinze bustes en plâtre retraçant les grandes étapes de l’évolution humaine, des précurseurs simiesques à l’homme néolithique, en restituant muscles, chairs et attitudes à partir de fragments. Toutefois, dès les années 1880, peintres et sculpteurs avaient trouvé dans ces découvertes une formidable source d’inspiration, un nouveau répertoire iconographique venant se surimposer à leur culture académique et bourgeoise. Si les maîtres du genre s’appellent Cormon, Jamin ou Frémiet, Benner et Faivre produisent des grands formats riches d’incongruités, dans lesquels la femme est alanguie, telle une nymphe, pendant que l’homme chasse en Hercule, les scènes de combats prenant place dans des cavernes parfaitement tenues.

Curieux paradoxe, le genre connaît un vif succès alors que les véritables peintures rupestres, faisant l’objet de longs débats sur la « capacité créatrice » de l’homme préhistorique, ne seront jugées authentiques qu’en 1902. Le temps de la vulgarisation stimulera l’imaginaire préhistorique. Ces « fantaisies » sont présentées dans la dernière section de l’exposition : photographies des spectacles vivants organisés en 1910 par la Société préhistorique française, films parodiques de Charlie Chaplin ou Buster Keaton, stéréoscopies d’un genre plus engageant qu’il n’y paraît : le « nu préhistorique » !