La deuxième mort de BabyloneOn ne connaît pas encore l’étendue des dommages causés par la guerre sur les sites archéologiques. Mais les pillages semblent confirmer les prévisions les plus pessimistes.
Jeudi 10 et vendredi 11 avril, alors que les troupes américaines sillonnaient Bagdad, des centaines de pillards ont mis à sac le Musée archéologique de la ville. L’institution inaugurée en 1976 dressait un panorama de plusieurs millénaires de l’histoire de la Mésopotamie. Il renfermait ainsi une harpe sumérienne en or, une tête féminine de l’époque d’Uruk, les trésors des tombes royales d’Ur, des bas-reliefs des palais de Nimroud et de Khorsabad ou plusieurs milliers de tablettes en argile portant des inscriptions en caractères cunéiformes. «Ils savaient où étaient les pièces de valeur de notre collection» a déclaré le conservateur Mohsen Hassan à John F. Burns du New York Times. Résultat… À la fin de la journée, l’un des principaux musées du Proche-Orient offrait un spectacle de désolation. Les portes et les fenêtres des salles d’exposition et des réserves ont été défoncées, les documents administratifs éparpillés, des céramiques ont été cassées, des sculptures renversées au sol, des œuvres dérobées… Interviewée par Elizabeth Day et Philip Sherwell de The Telegraph, la directrice adjointe du musée, Nabhal Amin fait le point : «Ils ont pillé ou détruit 170 000 objets de l’Antiquité. Cela représente des milliards de dollars».
Établir un état des lieux sera pourtant plus compliqué qu’il n’y paraît. Au début de la première guerre du Golfe, le musée de Bagdad avait en effet été fermé et de nombreuses œuvres déplacées. Certaines ont été mises à l’abri dans des entrepôts et d’autres saisies pour décorer les résidences privées de Saddam Hussein, elles même pillées depuis lors. Lorsque l’établissement a rouvert, en 2000, certaines vitrines étaient ainsi restées vides, des photographies évoquant les pièces les plus précieuses. Durant le week-end, le pillage du musée de Mossoul et l’incendie de la Bibliothèque de Bagdad sont venus alourdir la note de ce désastre culturel. Alors que le directeur général de l’Unesco, Koïchiro Matsuura, intervient un peu tard pour demander à la coalition de «prendre immédiatement les mesures de surveillance et de gardiennage des sites archéologiques et institutions culturelles irakiens», les responsables irakiens s’indignent et soulignent le caractère sporadique des interventions américaines. Ainsi, Raid Abdul Ridhar Muhammad qui explique au New York Times que les cinq Marines qu’il a fait venir sur place pour rétablir l’ordre sont partis au bout d’une demi-heure, laissant la voie libre aux pillards. Et la directrice Nabhal Amin de conclure : «Les Américains étaient censés protéger le musée. S’ils avaient amené juste un tank ou deux soldats, rien de tout cela ne serait arrivé. Je tiens les troupes américaines pour responsables». Devant l’émotion internationale, Colin Powell a promis que le musée serait restauré et que les voleurs seraient pourchassés dans tous les pays. Dès jeudi 17 avril, l’Unesco a tenu une réunion, qui devrait conduire à un premier inventaire du patrimoine disparu. Difficile de dire ce qui pourra être finalement sauvé. Les Américains disposaient dès le départ d’une liste des sites culturels importants et l’on regrettera longtemps que le musée n’ait pas bénéficié de la même protection que le ministère du Pétrole…
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